jeudi 21 janvier 2016

De l'amour pour le prophète Mohammed et de la conformité à lui - Ibn Arabi

La conformité au Messager de Dieu - sur lui la grâce et la paix -, relevant de la Loi Divine qu'il
énonce, est précisée dans le verset suivant : Dis ! Si vous aimez Dieu, conformez-vous à moi (Mohammed). Alors, Dieu vous aime... (Coran III, 31).

Sache le ! Dieu possède un amour double ou encore un double attachement dans l'amour qu'Il porte à Ses serviteurs, et cette affection est une propriété inhérente à la volonté.

Un tel amour est celui que Dieu témoigna aux créatures, dès l'origine, et par lequel Il leur a accordé de se conformer à Lui comme le font les Envoyés eux-mêmes - que la paix de Dieu soit sur eux tous.

Ajoutons que cette conformité produit en eux deux attachements d'amour du fait qu'elle survient selon deux modes : soit par l'accomplissement des oeuvres d'obligation Divine, soit par celui des actes surérogatoires (nawâfil).

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - relate la nouvelle suivante de la part de son Seigneur : " Mon serviteur ne cesse de s'approcher de Moi par une oeuvre qui M'est des plus aimables, celle d'accomplir ce que Je lui ai prescrit. Mon serviteur ne cesse de s'approcher de Moi par des oeuvres surérogatoires jusqu'à ce que Je l'aime.
Et quand Je l'aime, Je suis son ouïe, sa vue, ses mains et tous ses autres organes."

Mais, quand l'Être vrai est l'ouïe du serviteur et ses autres organes, grâce aux oeuvres surérogatoires, que devient l'amour que Dieu a pour lui par l'acquittement des pratiques d'obligation Divine ?

La réponse est que l'Être vrai veut par la volonté de ce serviteur choisi qu'Il investit, dans le monde, de la fonction de commandement, en plein accord avec Sa Volonté primordiale qui est propre à cet attachement d'amour et par lequel Il agrée un tel être. Or, ce dernier attachement d'amour (par les oeuvres surérogatoires) se réduit au premier selon cette parole Divine : Et vous ne voulez que ce que Dieu veut (Coran LXXVI, 30 & LXXXI, 29). Dieu aime celui qui cultive les qualités qu'Il énumère dans Son Livre et qui ne sont acquises que par cette conformité.

Or, le Messager de Dieu - sur lui la grâce et la paix - se comporte en raison de cette disposition qu'il tient de Dieu car : Il ne s'exprime pas par impulsion passionnelle (Coran LIII, 3). L'Envoyé agit en fonction de Dieu et de nous, mais Dieu ne peut admettre que l'acte soit fait pour Lui et pour nous ainsi que certains ont pu le supposer. Pourtant, le Prophète a bien dit : " Je ne sais pas comment Dieu agit avec moi et avec vous. Je me conforme seulement à ce qu'Il m'a révélé et je ne suis qu'un exhortateur explicite." C'est en ce sens que Dieu dit : Seule la transmission [du message] incombe à l'Envoyé (Coran V, 99).

La conformité impose alors que les serviteurs se comportent comme le Messager le leur commande. Qu'il nous prescrive ou non : "Imitez-moi !" nous le ferons.

Il en découle que nous devons suivre ce qu'il nous ordonne ou nous interdit et c'est pourquoi le respect des limites qu'il nous trace implique que nous imitions ses comportements et ses traits de caractère. Cette attitude porte le nom de prodige (karâma) et de miracle (âya), véritables signes attestant la sincérité du croyant dans la conformité.

Les Messagers eux-mêmes sont tenus de se conformer (aux injonctions Divines). Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit : " Je me conforme aux seules données qui m'ont été révélées." C'est pourquoi la conformité à l'oeuvre de Dieu, qui transparaît sur lui comme conséquence de sa propre conformité aux commandements Divins, constitue un exemple miraculeux (âya) tout en devenant pour nous un prodige tenant du miracle (quand nous agissons ainsi). Cependant, cet acte (d'imitation) doit être fait avec aspiration et orientation sans aucune complaisance (envers soi-même pour être de cette nature).

Le serviteur peut alors faire apparaître des ruptures dans les lois naturelles qui ne peuvent intervenir que de cette manière sans autre cause que la seule Volonté de Dieu - exalté soit-Il. Lorsque cet acte conforme s'accomplit en vertu d'une cause extérieure habituelle, il n'entre pas dans ce cas miraculeux.  Tel est, par exemple, le vol de l'oiseau qui s'effectue par un moyen apparent, même  si, en vérité, seul Dieu le soutient (cf. Coran LXVII, 19), ce qui revient à dire que Dieu, avec ce volatile, crée les moyens de son maintien dans l’atmosphère. Par contre, quand l'homme pénètre dans l'air et y marche par sa seule volonté, il n'a pas de moyens apparemment normaux pour y parvenir. Ce dernier cas ressemble donc à l'opération de l'Être vrai quand Il génère les choses par Sa Volonté. Ici réside toute la différence entre l'acte producteur Divin et l'arrivée des chose à l'existence par le moyen des causes occasionnelles (asbâb).

Le fondement de cette capacité se trouve dans la réalisation par conformité. Celui qui garde les lois instaurées, c'est Dieu et Celui qui respecte l'ordre des choses, conformément à Sa Volonté, c'est encore Dieu seul ! Et tout cela arrive par l'assistance providentielle ('inâya) et la Volonté créatrice (mashî'a) de Dieu. Il n'y a nul dieu que Lui, le Très-Inaccessible et le Très-Sage (Coran III, 6).


Source: Traité de l'amour (Ibn Arabi)

vendredi 26 décembre 2014

DE LA VERTU DE LA FIDÉLITÉ - Al Ghazali

Musulmanes en voiles
Le Seigneur dit : " Or, il ne leur fut ordonné que d'adorer Dieu, vouant à Lui Seul le culte, en toute fidélité" - " C'est à Dieu que s'adresse le culte pur." - " Excepté ceux qui se repentent et font de bonnes oeuvres, qui s'attachent à Dieu et à Lui Seul vouent leur culte" - " Celui donc qui s'attend à la rencontre de son Seigneur, qu'il fasse oeuvre de bien, et au culte de son Seigneur n'associe aucun." Ces versets ont été révélés au sujet de ceux qui œuvrent pour Dieu et le Louent.

Le Prophète : " Rien n'est plus cher au coeur d'un musulman que la fidélité à Dieu dans l'oeuvre." Mossaab Ibn Saad rapporte que son père pensait que ceux qui lui étaient inférieurs parmi les compagnons du Prophète lui devaient quelque chose. Le Prophète lui dit : " Le Seigneur Tout-Puissant a fait triompher cette nation grâce aux faibles, à leur appel (à la religion) et a leur fidélité." Hassan rapporte que le Prophète a dit : " Dieu le Tout-Puissant a dit : la fidélité est un secret que Je dépose dans le coeur de ceux que j'aime." Ali : " Ne vous occupez pas de la petite quantité d’œuvres mais occupez-vous de la valeur de ces oeuvres et de leur pureté." Le Prophète a dit à Moadh Ibn Jabal : " Sois fidèle à Dieu dans ton oeuvre, peut-être en seras-tu rétribué tant soit peu." Et le Prophète a dit aussi : " Trois personnages seront interrogés en premier le Jour de la Résurrection: celui à qui Dieu a donné le savoir. Le Seigneur lui demandera : Qu'as-tu fait de ton savoir ? Et il répondra : je veillais toute la nuit et était éveillé toute la journée. Le Tout-Puissant lui dira : Tu mens, et les anges lui diront : tu mens. Tu voulais simplement qu'on dise que tu étais savant. Ne l'a-t-on pas dit ? Puis viendra celui à qui Dieu a donné des biens. Le Seigneur lui demandera : Je t'ai couvert de bienfaits, qu'en as-tu fait ? Il répondra : Seigneur je faisais l'aumône toute la nuit et toute la journée. Dieu lui dira : Tu mens. Et les anges diront : Tu mens. Tu voulais simplement qu'on dise tu étais généreux. Ne l'as-t-on pas dit ? Puis viendra un homme qui fut  tué dans le service de Dieu. Dieu lui demandera : Q'as tu fait ? Il répondra : Le Jihad fut proclamé et je suis allé combattre jusqu'à la mort. Dieu lui répondra : Tu mens. Et les anges diront : Tu mens. Tu voulais simplement qu'on dise que tu étais courageux. Ne l'a-t-on pas dit  ? " Abou Hourayra rapporte que le Prophète se frappa ensuite sur la cuisse et lui dit : " Abou Hourayra, ce sont là les personnages qui nourriront en premier le feu de l'enfer, le jour de la Résurrection."

On rapporta à Moawya ces paroles du Prophète. Il pleura à en perdre d'âme. Puis il récita : Le Seigneur dit vrai. " Quiconque veut la vie d'ici-bas et sa pompe, ceux-là Nous leur ferons payer  au comble leurs oeuvres."

On raconte dans les annales du peuple d'Israël qu'il y avait un dévot qui adorait Dieu depuis longtemps lorsque des personnes vinrent le voir et lui dirent qu'ils avaient vu des gens tout près qui adoraient un arbre et n'adoraient pas Dieu. Le dévot se mit en colère, prit une hache et se dirigea vers l'arbre pour l'abattre. Ibliss se mit sur sa route sous la forme d'un vieillard. - Où va-tu, que Dieu te bénisse, lui dit-il. - Je vais pour abattre l'arbre, lui répondit le dévot. - Et en quoi ça te regarde ? Dit Ibliss. Tu as quitté tes dévotions et ce qui te regarde et tu vas chercher ce qui ne te concerne pas. - Cela fait partie de mes dévotions, dit le dévot. - Je ne te laisserai pas abattre l'arbre, dit Ibliss. Ils se sont battus et le dévot terrassa Ibliss et s'assit sur sa poitrine. - Lâche-moi que je puisse te parler, lui dit Ibliss. Dieu ne t'a pas imposé cela. Ce n'est pas toi qui adore l'arbre et tu n'as pas à t'occuper de ce que font les autres. Dieu a des prophètes dans beaucoup de régions de la terre et s'Il veut, Il enverra quelques-uns à ces gens et leur ordonnera d'abattre l'arbre. - Non, dit le dévot, je dois l'abattre. Ils se mirent à se battre à nouveau et le dévot en sorti vainqueur, il terrassa Ibliss encore une fois et s'assit sur sa poitrine. Ibliss lui dit : Veux-tu savoir quelque  chose qui va mettre un terme à notre querelle et qui vaudra mieux pour toi, - Qu'est ce ? Demanda le dévot. - Libère-moi et je te le dirai. Il le libéra et Ibliss lui dit : Tu es un homme pauvre et tu es une charge pour ceux qui te nourrissent. Peut-être voudrais-tu faire du bien à tes frères en religion et à tes voisins, être riche et manger à satiété ? - Certes, dit le dévot. - Eh bien, oublie l'arbre, dit Ibliss. Je poserai chaque nuit auprès de toi deux dinars qui te permettront au matin de subvenir à tes besoins et à ceux de ta famille et à faire l'aumône. Cela vaut mieux pour toi et pour les musulmans que d'abattre cet arbre. Je ne vois pas en quoi cela porterait préjudice à ces gens que tu l'abattes et en quoi cela profiterait aux musulmans. Le dévot réfléchit et se dit : le vieillard a raison. Je ne suis pas un prophète et il n'est pas de mon devoir d'abattre cet arbre. Dieu ne m'a pas ordonné de l'abattre et si je ne le faisais pas, je ne serais guère un désobéissant. Ce qu'il vient de proposer vaudra certainement mieux.

Il fit le serment à Ibliss d'être fidèle à sa parole et retourna à son lieu de dévotion. Le lendemain matin, il trouva deux dinars auprès de lui qu'il prit. Il en fut de même le surlendemain. Le troisième jour et les jours suivants, il ne trouva rien. Il se mit en colère, reprit la hache et s'en alla pour abattre l'arbre. Il retrouva Ibliss sur la route sous la forme d'un vieillard. - Où vas-tu ? Lui dit-il - Abattre l'arbre, répondit le dévot. - Tu mens, dit Ibliss. Tu n'en es pas capable. Le dévot l'attrapa et voulut le terrasser comme à la première fois. - Hélas ! Dit Ibliss et il le jeta par terre. Le dévot était comme un oiseau sous les pieds d'Ibliss. Celui-ci s'assit sur sa poitrine. - Tu vas oublier cette histoire sinon, je t'égorge lui dit-il. Le dévot se rendit compte qu'il n'avait aucune force. - Tu m'as vaincu, dit-il. Lâche-moi et explique moi comment j'ai pu te vaincre la première fois et comment tu as pu me vaincre cette fois-ci. - Parce que tu t'es mis en colère la première fois au nom de Dieu, dit Ibliss. Et cette fois-ci, tu t'es mis en colère pour toi-même et pour ce monde-ci.

Cette anecdote atteste la parole du Seigneur : " Il est d'eux qui ajoutent foi en Lui". L'homme ne se libère du diable que par la fidélité dans sa foi en Dieu. Maarouf Al Karkhi se frappait et disait : " O âme, sois fidèle et tu te libéreras." Yacoub Al Makfouf : " Le fidèle à Dieu est celui qui fait ses bonnes comme mauvaises actions." Soleymane : " Bienheureux celui qui a fait un seul pas juste par lequel il ne voulait que le Tout-Puissant."...

Source : L'apaisement du coeur - Al Ghazali

jeudi 31 juillet 2014

Des avantages du mariage (4) IMÂM AL GHAZALI

Cinquième avantage, l'effort sur soi-même que demande le mariage

Le dernier avantage du mariage, c'est d'y trouver matière à combattre son âme et à la dompter, par l'attention soutenue qu'il faut porter à son épouse en la protégeant et en s'acquittant de ses droits, tout en supportant patiemment son caractère et en endurant ses méfaits; en s'efforçant de la réformer, de la conduire sur le chemin de la religion, et également d'acquérir des gains licites pour sa famille; enfin, en se chargeant de l'éducation de ses enfants... Toutes ces responsabilités constituent des fonctions (litt: des oeuvres) d'un mérite éminent puisqu'elles réunissent les qualités de guide et de protecteur. Femmes et enfants sont en effet comparables à un troupeau, dont la prise en charge est chose sublime: seul s'en détournera celui qui redoute de ne pas être à la hauteur de la charge ! Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a d'ailleurs affirmé : " Une seule journée d'un fondé de pouvoir* équitable est préférable à soixante-dix années d'adoration." Et il a précisé par ailleurs: "Chacun d'entre vous est un berger qui sera interrogé au sujet de son troupeau."


Celui qui s'occupe à la fois du salut de son âme et de celle des autres est-il comparable à celui qui n'a que lui-même à charge ? Qui endure [une famille, avec] les difficultés [que cela comporte], ne vaut-il pas mieux que celui qui s'épargne toute fatigue ? En vérité, supporter femme et enfants tient lieu de combat pour la cause de Dieu ! Voilà qui explique la parole de Bishr [déjà citée plus haut] : " Il y'a trois points par lesquels Ahmed ibn Hanbal me dépasse en mérite: il recherche ce qui est licite pour lui-même et pour autrui, alors que je ne le recherche que pour ma simple personne..." L'envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - a dit également : " Tout ce que l'homme procure à sa famille lui est compté comme aumône; aussi recevra-t-il une récompense pour toute nourriture (litt: pour chaque bouchée) qu'il place dans la bouche de son épouse."

Un homme se vanta un jour auprès d'un savant : " De toutes les œuvres pies, Dieu m'a accordé une part" - et se mettant à les énumérer, il en  arriva bientôt au Pèlerinage, au combat pour la cause de Dieu, et d'autres encore... Alors le savant lui coupa la parole en lui demandant : Mais que sont ces œuvres comparées à celle des Abdâl (la catégorie la plus élevée des saints)  ? - Et quelles sont-elles demanda l'homme [interloqué]. - Se procurer des gains licites, et subvenir aux besoins d'une famille," lui répondit le savant.

Un jour qu'ibn al-Mubârak se trouvait avec ses frères dans une expédition militaire, il leur demanda : "Connaissez-vous meilleure œuvre que celle qui nous occupe en ce moment ? - Non, lui répondirent-ils, [nous n'en connaissons point]. - Pour ma part, leur dit-il, j'en vois une. - Et quelle est-elle ? lui demandèrent alors ses compagnons. - Représentez-vous, leur dit ibn al-Mubârak, un homme vertueux et père de famille : se réveillant au beau milieu de la nuit, il verrait ses enfants endormis non couverts, et les couvrirait alors de son manteau pour les protéger du froid... Eh bien ! cette simple marque d'attention est plus méritoire que ce que nous sommes en train d'accomplir en ce moment".

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit ceci: "Celui qui s'acquitte de sa prière avec recueillement, dont la famille est nombreuse, les revenus modestes, et qui évite de médire des musulmans, sera en Paradis aussi proche de moi que le sont ces deux-là [et il leva l'index et le majeur de la main droite]". Selon une autre tradition: "En vérité Dieu aime l'homme pauvre, vertueux et père de famille". Et encore: "Lorsque les péchés du serviteur sont trop nombreux, Dieu lui fait expier en le soumettant aux soucis que lui cause sa famille." ...

On rapporte qu'un dévot s'occupa à merveille de son épouse, jusqu'à ce qu'elle décède. On lui proposa alors de se remarier, mais il déclina l'offre en disant: "La solitude offrira davantage de quiétude à mon cœur et me permettra de concentrer mes pensées [sur Dieu]". Mais [revenant sur sa décision peu de temps après,] il fit ce récit : " Sept jours s'étaient écoulés depuis la mort de ma femme, lorsqu'une nuit je fis un rêve funeste : les portes du ciel étaient grandes ouvertes, et des hommes en descendaient, évoluant dans les airs par vagues successives. A chaque fois que l'un de ces hommes passait devant moi, il regardait dans ma direction et disait à celui venait derrière lui : Tiens, le voilà donc ce malheureux ! - Oui, c'est bien lui, répondait l'autre. Celui qui venait après acquiesçait de même, et le quatrième, et ainsi de suite...
Je n'osai les interroger tant j'étais saisi de crainte révérencielle. Cela dura jusqu'à la venue du dernier d'entre eux qui était un adolescent. [M'enhardissant alors,] je lui demandai : O toi, quel est donc ce malheureux que vous vous désigné les uns aux autres ? - Mais c'est toi-même, me répondit-il. - Et pourquoi donc ? m'étonnais-je. Le jeune homme me dit alors : Nous élevions tes œuvres [jusqu'à Dieu], avec celles des combattants pour la cause de Dieu; mais depuis une semaine très exactement, on nous a ordonné de les placer avec celles de ceux qui se dérobent au combat. Toutefois, nous ignorons ce que tu as fait [pour encourir une telle disgrâce]." Et le dévot supplia alors ses frères : "Mariez-moi, mariez-moi !" Depuis ce temps-là, il eut toujours avec lui deux ou trois épouses...
...
C'est en endurant tout cela avec patience que l'on exerce son âme dompter sa colère et à acquérir le meilleur des caractères. En effet, ni les vices, ni les défauts dissimulés de l'égo ne sauraient filtrer chez celui qui vit seul ou en compagnie de gens éduqués. Il est donc indispensable, à qui s'engage dans la Voie qui conduit à l'ultime Demeure, de  soumettre son âme à l'épreuve en s'exposant à de semblables situations et de s'habituer à les supporter avec calme. C'est ainsi qu'il acquerra un caractère égal et maîtrisera son ego, en se purifiant de toutes les tendances blâmables qu'il porte en lui. En outre, bien que le fait de supporter une famille représente un véritable exercice spirituel (riyâda) et requiert un effort pénible pour la prendre en charge et subvenir à ses besoins, cela constitue de plus une œuvre d'adoration en soi.

Voilà donc un dernier avantage du mariage; mais seuls deux sortes d'hommes en tireront parti :
soit le novice qui, s'engageant dans la Voie, a en vue de lutter contre son âme égoïste par le biais d'exercices spirituels, et de policer son caractère: rien n'exclut qu'il voie dans le mariage une discipline pour combattre son âme et la maîtriser;
soit le serviteur ordinaire, qui n'a ni cheminement intérieur, ni aucune disposition pour la méditation ou l'intuition spirituelle, et qui adore son Seigneur avec son corps uniquement, que ce soit en accomplissant la prière, le Pèlerinage, ou tout autre rite. Celui-là retirera bien plus de mérite à travailler pour son épouse et ses enfants en leur assurant une subsistance licite et une éducation soignée, qu'en s'acquittant de façon mécanique (litt : par le biais de son corps) d'actes cultuels dont les bienfaits ne s'étendent pas à un autre que lui-même.

Quant à l'homme aux mœurs policées - que ce soit par penchant naturel ou par acquisition méthodique -, disposé à la méditation, à l'intuition spirituelle, à l'étude des sciences religieuses et au dévoilement initiatique (mukâshafât), il ne convient pas qu'il prenne une épouse avec cette intention, parce qu'il a suffisamment d'exercices spirituels à accomplir [en dehors du mariage]. L'acte d'adoration que représente l'effort déployé à l'entretien d'une famille est d'un moindre mérite que [l'étude et l'enseignement de] la science sacrée qui constituent eux aussi une œuvre pie, mais profitent à infiniment plus de créatures.

Voilà donc étudiés les avantages que présente le mariage du point de vue religieux, et qui font le mérite de cette institution.

Source: Des vertus du mariage (Ghazâli)











Le terme wâli, qui est de même racine que le mot walî (saint, protégé de Dieu), désigne quiconque détient un pouvoir, justifié ou non. Le chef de famille a donc la charge wilâya) de sa famille au même titre que le prince a la charge de ses sujets.

jeudi 19 juin 2014

Des avantages du mariage (3) IMÂM AL GHAZALI

Un saint multipliait les mariages si bien que sa vie durant ou presque, il compta toujours deux ou trois épouses dans sa maisonnée. Certains soufis lui en firent un jour reproche, ce qui leur valut cette question en retour: " Lorsque l'un de vous a un entretien avec Dieu, ou après avoir entrepris quelque action il adopte devant Lui une attitude donnée, ne se présente-t-il pas à son esprit des pensées luxurieuses ? - Si fait, admirent les autres: cela nous arrive souvent - Eh bien, leur rétorqua le saint, je ne me serai jamais marié si j'avais admis être confronté à une telle situation, ne serait-ce qu'une fois dans mon existence ! Mais dès qu'une telle pensée me traverse l'esprit, risquant de me détourner de ma condition [de serviteur de Dieu], je la réalise aussitôt. Puis, libéré, je retourne à mes dévotions (litt: à mon travail). C'est ainsi qu'en quarante ans, aucune transgression ne m'a jamais effleuré l'esprit."

Quelqu'un blâmait la condition des sûfis, si bien qu'un homme de religion finit par lui demander : " Au fond, qu'as-tu donc à leur reprocher exactement ? - Ils mangent beaucoup trop, répondit l'autre. - Mais toi aussi, dit le religieux, si tu observais les jeûnes qu'ils s'imposent, tu mangerais comme ils mangent ! - Ils passent leur temps à convoler, dit alors le jaloux. - Mais toi aussi, lui répliqua le religieux, si tu contrôlais ton regard et ton sexe comme ils arrivent à le faire, tu convolerais comme ils le font !" Al-Junayd quant à lui déclarait sans ambages : "J'ai besoin de l'acte sexuel comme j'ai besoin du pain [que je mange] !" Et en vérité, l'épouse n'apparaît-elle pas comme une sorte de pain quotidien, par lequel l'homme purifie son cœur ? Voilà pourquoi l'Envoyé de Dieu ordonnait, à quiconque portait le regard sur une femme et en éprouvait du désir, d'aller s'unir à son épouse; car il n'y a alors que cela pour libérer l'esprit des suggestions de l'âme concupiscente. Jâbir - que Dieu soit satisfait de lui - rapporte d'ailleurs à ce sujet que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - vit un jour passer une femme [d'une grande beauté], et qu'il alla trouver Zaynab pour s'apaiser; après quoi, il la quitta.
Il mettait d'ailleurs son entourage en garde - sur lui la grâce et la paix - en disant: "Lorsqu'une femme vient au-devant de vous, elle le fait sous la forme du diable; si l'un d'entre vous voit une femme qui lui inspire quelque envie, qu'il aille auprès de son épouse pour faire avec elle ce qu'il a eu désir de faire avec l'autre." Il disait aussi : "Qu'aucun d'entre vous n'aille visiter les femmes dont l'époux s'est absenté, car le diable évolue en vous, à la manière dont le sang circule dans le corps." Les Compagnons s'en étonnèrent: " Même en toi, ô Envoyé de Dieu ? - Même en moi, répondit-il, si ce n'est qu'avec l'aide de Dieu, j'en suis préservé." Sufyân ibn 'Uyaynah a fait remarquer que c'est aslamu (je suis préservé de lui) qu'il convient de lire ici, et non aslama (il s'est converti); car le diable, dit-il, ne deviendra jamais musulman.



On rapporte également que Ibn 'Umar - que Dieu soit satisfait de lui - rompait le jeûne en visitant ses épouses avant même de manger; or, il était l'un des Compagnons les plus ascétiques et l'un des plus versés dans la science sacrée. Au cours du mois de ramadan, il lui arrivait de s'unir à trois de ses concubines, avant même la prière de la nuit ('ishâ) ! Ibn 'Abbâs affirmait: "le meilleur de cette Communauté est celui qui a le plus de femmes." Mais c'est en raison du tempérament particulièrement sensuel des Arabes que l'on voit tant de saints parmi eux multiplier les mariages.

Si l'on craint véritablement de commettre l'adultère, il est toléré, en vue d'apaiser son cœur, d'épouser une esclave (amah), même si l'enfant qui peut naître de cette union connaîtra l'esclavage, ce qui est une manière de le perdre*. C'est pourquoi cette forme d'union est interdite à quiconque a les moyens de s'offrir une femme libre. Mais comparé au fait de perdre sa religion l'asservissement d'un enfant apparaît comme un moindre mal: car la condition de celui-ci n'affecte que sa vie d'ici-bas, qui n'a qu'un temps, tandis que commettre la turpitude aliène la vie future, dont un seul jour dure bien plus longtemps que la plus longue des existences terrestres !

On rapporte qu'un jour que les gens se dispersaient après une leçon d'Ibn 'Abbâs, un jeune homme resta près de lui [sans se décider à partir]. Le Compagnon lui demanda : "As-tu besoin de quelque chose ? - Oui, répondit le jeune homme [en rougissant], j'ai une question à te poser. J'avais honte de le faire devant tous ces gens, et à présent qu'ils sont partis, j'éprouve devant toi une crainte révérencielle à cause de la vénération que j'ai pour toi ! - Le savant tient lieu de père, lui dit alors Ibn 'Abbâs. Tu peux t'ouvrir à moi de ce que tu confierais à ton père. - Voilà, consentit le jeune homme : je suis un homme jeune, sans épouse. Or il m'arrive, lorsque je redoute de tomber dans l'adultère, de me masturber. Est-ce un péché ? - Peste ! s'écria Ibn 'Abbâs en se détournant, quelle horreur ! Mieux vaut encore pour toi épouser une esclave ! Mais ce à quoi tu t'adonnes est préférable à la fornication."

La conclusion que l'ont peut tirer de ce récit, c'est que le célibataire tourmenté par la chair oscille entre trois maux dont le moindre est d'épouser une esclave (avec pour conséquence fâcheuse la servitude de ses enfants), et le pire est la fornication, la masturbation occupant en quelque sorte une place intermédiaire. Toutefois, Ibn 'Abbâs n'a déclaré licite aucune de ces alternatives : épouser une esclave ou se livrer à la masturbation sont deux choses répréhensibles, auxquelles on n'aura recours que par crainte d'une action plus répréhensible encore; de la même façon, on ne mange de la viande non égorgée que lorsque l'on craint de périr d'inanition. La solution du moindre mal ne signifie pas pour autant que celui-ci soit licite, ou qu'il constitue un bien en soi ! Qui irait considérer l'amputation d'une main rognée par la gangrène comme un bien, même si l'on doit s'y résoudre pour sauver un blessé en danger ?

[A la différence du premier,] ce deuxième avantage offert par le mariage ne s'applique pas à tous les hommes indistinctement, mais seulement à la majeure partie d'entre eux. Car il en est chez qui le désir amoureux est fortement affaibli, que ce soit par vieillesse, maladie ou pour toute autre raison... Aussi le désir ne constitue pas pour ceux-là une incitation suffisante à se marier; seule la volonté de procréer pourrait alors les pousser au mariage, car cette motivation concerne tous les hommes - exception faite du castrat qui demeure malgré tout un cas exceptionnel.

Quant à celui que le désir assaille de façon si impérieuse qu'une seule femme ne suffit pas à l'apaiser, il lui est recommandé de prendre une co-épouse, ou plusieurs, jusqu'à la limite des quatre femmes [permises par la Loi]. Si Dieu met entre elles et lui l'amour et la miséricorde (coran 30, 21) et qu'il se satisfait de leur compagnie, [l'affaire est entendue]; faute de quoi, il lui est recommandé de changer d'épouses... C'est ainsi qu'Ali - que Dieu soit satisfait de lui - se remaria une semaine jour pour jour après la mort de Fâtima - la paix soit sur elle. Quant à son fils al Hasan, on disait de lui qu'il était infatigable en la matière, puisqu'il épousa plus de deux cents femmes tout au long de son existence ! Il arriva à Ali d'épouser quatre femmes en même temps, comme il lui arriva d'en répudier quatre dans la même période, pour les remplacer toutes. Or, c'est à [ son petit-fils] al-Hasan [ibn 'Alî] que le prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit :"Tu me ressembles par le physique comme par le caractère". Et il disait également, - sur lui la grâce et la paix - :"Al-Hasan tient de moi et al-Husayn, de Ali". Un de ces points de ressemblance était, à ce que l'on dit, le grand nombre de mariages qu'ils contractèrent tous deux. Al-Mughîrah ibn Shu'ba eut, quant à lui, quatre-vingts épouses au cours de son existence. Le cas de Compagnon ayant trois ou quatre conjointes n'était pas rare; quant à ceux qui en avaient au moins deux, ils sont innombrables.

Cela étant, même si cette raison de se marier est connue, il importe d'adapter le remède à la maladie: le but en l'occurrence est de soulager l'âme [des exigences de la chair], et c'est cela qu'il faudra avoir en vue lorsqu'on voudra contracter des mariages, nombreux ou non.

Troisième avantage, le délassement et la distraction que procure la compagnie de son épouse

Le troisième avantage du mariage est que l'homme y apaise son ego en compagnie de son épouse, la regardant [vivre] et se livrant avec elle à toutes sortes de jeux; son cœur s'en trouve diverti, et revient [ensuite] avec plus d'ardeur à l'adoration. En effet, l'âme se lasse rapidement de tout effort, et fuit la Vérité qui est si contraire à sa nature. S'efforce-t-on de la faire persévérer dans ce qu'elle a en aversion et qui la contrarie, qu'elle se dérobe et rue dans les brancards. Par contre, si en des moments choisis on lui accorde quelque répit par de menus plaisirs, elle s'en trouve renforcée et stimulée [en vue de ce que l'on attend d'elle]. Or, il y a dans la société des femmes tout ce qu'il faut pour dissiper la tristesse et les soucis, et apporter au cœur son réconfort.

Dans la mesure donc où ces divertissements sont licites, l'homme de piété doit y recourir pour délasser son âme. Dieu n'a-t-Il pas dit : Afin qu'auprès de son épouse il trouve quiétude et repos ? (coran 7:189) 'Alî - que Dieu soit satisfait de lui - disait : "Délassez votre cœur de temps à autre; car lorsqu'il est trop contraint, il s'aveugle et s'obscurcit." La tradition prophétique rapporte à ce sujet le conseil suivant : " L'homme intelligent divisera son temps en trois parties: un temps pendant lequel il s'entretiendra avec son Seigneur; un autre, où il demandera des comptes à son âme; et un troisième qu'il consacrera au boire et au manger. Ce dernier temps viendra le soutenir pour les deux précédents." Dans une autre tradition, on retrouve la même idée, exprimée en des termes différents : " Il n'est que trois choses qui feront se mouvoir l'homme doué de raison: des provisions en vue de l'Au-delà; des moyens de substances suffisants pour vivre ici-bas; et tout plaisir que la religion n'interdit pas." Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit également: "Tout homme qui se met à l'œuvre connaît une période de zèle (shirra), et toute période de zèle est suivie d'une autre de relâchement (fatra). Celui dont le relâchement le conduit à se détendre dans le cadre de ma Coutume (Sunna), celui-là est sur la bonne voie". Par shirra il faut entendre la fougue et l'effort que l'on déploie lorsque l'on entreprend quelque chose. Quant à la fatra, c'est la pause que l'on marque en vue de se délasser.

Abû al-Dardâ disait :" En ce qui me concerne, je divertis mon âme par quelque passe-temps, qui me renforce ensuite dans l'accomplissement de mes devoirs". Une tradition rapporte que l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - aurait dit : "Je me suis plaint à Djibril (ange Gabriel) - sur lui la paix - de mon manque de vigueur dans les rapports conjugaux; il m'a conseillé d'y remédier en mangeant de la harîsa (piment)". Si cette tradition est authentique, il y apparaît clairement que c'est au délassement [dans le cadre du mariage] que le Prophète se disposait, et en aucun cas à l'apaisement du désir charnel - puisque le remède proposé est bien un stimulant, et que celui qui dépourvu de désir charnel ne saurait goûter à cette sorte d'intimité.

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit également : " Il m'a été donné d'aimer trois choses en votre monde: le parfum, les femmes et la prière. Mais c'est dans cette dernière que j'ai trouvé ma joie et mon réconfort". Quiconque a tant soit peu goûté la fatigue que l'âme peut éprouver à une méditation soutenue, une invocation répétée ou toute autre œuvre pie, ne désavouera pas ce troisième avantage du mariage (et qui, à la différence des deux premiers, concerne même le castrat et l'homme sans désir). Prendre femme dans la [seule] intention de jouir de sa compagnie est donc une vertu [en soi], bien que peu nombreux soient ceux qui convoitent le mariage à cette fin; on le fait plutôt en vue d'une descendance, ou pour apaiser sa sensualité. Celui qui ne cherche qu'à se délasser peut fort bien y arriver en contemplant un ruisseau courant à travers la verdure, ou par tout autre spectacle reposant de ce genre, sans plus éprouver le besoin de se délasser par la conversation d'une femme, ou en s'amusant avec elle ! En la matière, tout dépend du caractère de chacun, et des circonstances; il convient d'en tenir compte à chaque fois.

Quatrième avantage, prise en main de l'économie domestique 

Autre avantage du mariage : le cœur de l'homme s'y voit libéré des soucis de l'entretien de son habitation et des différentes tâches ménagères que cela comporte : la cuisine, le ménage, l'ameublement, la vaisselle ainsi que la préparation de tout ce qui est au quotidien. Quand bien même l'homme n'aurait aucun penchant pour les rapports conjugaux, il lui serait impossible de vivre seul dans sa maison : devant alors s'acquitter de toutes les tâches domestiques, il consacrerait à celles-ci la quasi totalité de son temps sans être en mesure de s'adonner à l'étude de la science sacrée ou aux œuvres pies. Aussi, une épouse vertueuse et apte à s'atteler aux travaux de la maison apporte-t-elle une aide véritable en matière de religion, puisque lorsque l'économie domestique est déréglée, c'est la vie toute entière qui en est empoisonnée; le cœur ne peut plus désormais se libérer de ses soucis ni de ses tracas. C'est ce qui faisait dire à Abû Sulaymân al-Darânî - que Dieu lui fasse miséricorde - : "L'épouse vertueuse n'est pas [un des biens] de ce bas-monde puisqu'elle te permet de te consacrer entièrement à l'Au-delà". En effet l'épouse libère doublement son mari : d'abord en prenant soin de sa maison, ensuite, en lui permettant d'apaiser son désir charnel.

Selon Muhammad ibn Ka'b al-Quradhî, le verset Notre Seigneur ! accorde-nous en ce monde un bienfait (coran 2: 201) fait allusion à la femme vertueuse. Quant au Prophète - sur lui la grâce et la paix - il enseignait à ce sujet: "Que chacun d'entre vous cherche  à acquérir un cœur reconnaissant, une langue qui mentionne fréquemment Dieu, et une épouse croyante et vertueuse qui lui sera une aide en vue de l'Au-delà". Considère comme le Prophète associe dans cette parole la femme vertueuse au souvenir de Dieu et à la gratitude à Son égard ! Et dans cet autre verset : " Certes, Nous lui ferons alors vivre une vie excellente (coran 16:99), l'expression de vie excellente est interprétée par certaines exégèses coraniques comme désignant l'épouse modèle.

'Umar ibn al-Khattâb - que Dieu soit satisfait de lui - disait: "Après la foi en Dieu, le meilleur cadeau que puisse recevoir un serviteur est une épouse vertueuse. Certaines d'entre elles constituent pour leurs époux un butin irremplaçable; d'autres sont de tels carcans qu'il vaut mieux s'en affranchir, [fût-ce] contre une rançon !" Ici, l'expression "irremplaçable" signifie qu'aucun don, si élevé soit-il, ne saurait compenser [la perte d'] une telle épouse. [De son côté], le Prophète a dit - sur lui la grâce et la paix - : "Deux faveurs m'ont été accordées, qui ne l'ont pas été à Adam : son épouse le poussa à la transgression, alors que les miennes m'aident à Lui obéir. Son démon familier était mécréant, alors que le mien s'est soumis et n'ordonne que le bien". On voit par ces propos que le Prophète considérait comme une vertu l'assistance qu'apporte une épouse à son mari dans l'observance des préceptes Divins.

Voilà donc un quatrième avantage que présente le mariage; et c'est à cette fin que les gens pieux rechercheront celui-ci - ceux du moins qui n'ont personne pour assurer leur intendance et subvenir aux besoins de leur maison. Mais dans ce cas, il ne leur sera pas nécessaire d'épouser plusieurs femmes. Bien au contraire, leur nombre ne ferait que mettre le trouble dans leur existence et semer la confusion dans leur maisonnée.

A cet avantage vient s'en ajouter un autre qui lui est corrélatif: c'est de voir, par les liens du mariage, s'agrandir sa propre famille, et de trouver dans les liens ce clan ainsi constitués un regain de force nécessaire pour repousser tout péril et assurer sa sécurité. C'est ainsi qu'on a pu dire: "Qu'il est vil [c'est à dire: qu'il s'expose à être avili], celui qui n'a pas de partisans pour le soutenir !" Or, qui a trouvé un clan pour écarter de lui le danger, connaît par là une situation salutaire et son coeur est alors tout disposé à l'adoration de Dieu. Car l'humiliation perturbe le coeur; tandis que la dignité conférée par l'appartenance à une puissante maison chasse cette humiliation.
à suivre
source: Des vertus du mariage (Ghazali)




* Ce point de vue shâfi'ite n'est pas celui de toutes les écoles juridiques: pour les Hanéfites notamment, l'enfant acquiert le statut de son père, tandis que la mère accède à la dignité de "mère de l'enfant [de son maître]" (umm walad): dès lors, elle ne peut plus être vendue, ni traitée comme esclave, et est obligatoirement affranchie à la mort de son maître.

dimanche 18 mai 2014

DES AVANTAGES DU MARIAGE ( 2 ) - IMÂM AL-GHAZALI


Deuxième point de vue

En recherchant une descendance, on œuvre à gagner l'amour de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - et sa satisfaction, en augmentant en nombre la Communauté musulmane, ce dont il tirera fierté [au jour de la Résurrection], ainsi qu'il l'a clairement exprimé dans une tradition [que nous avons rapportée plus haut].
Une parole qui indique de manière globale l'importance de la postérité sous tous ses aspects est celle attribuée à 'Umar qui, multipliant les mariages, déclarait: " Je ne me marie qu'en vue d'[accroître] ma descendance".

Quant aux traditions prophétiques qui semblent désavouer le femme stérile, telles que: "Il y a assurément plus d'utilité dans une natte de jonc, abandonnée dans un coin de la maison, que dans une femme qui n'enfante pas*!"

- "La meilleure de vos femmes est une épouse aimante qui donne beaucoup d'enfants." - "Une femme laide  mais féconde est préférable à une beauté sans enfants", elles indiquent toutes que le désir d'un enfant fait davantage le mérite du mariage que celui de se protéger des méfaits de la concupiscence : car une belle femme est bien plus à même de protéger la vertu [de son mari], de détourner son regard [d'une autre] et d'assouvir sa sensualité [que ne saurait le faire une femme disgracieuse].

Troisième point de vue

Le troisième objectif recherché doit être de laisser après sa mort un enfant vertueux qui fasse des invocations en faveur de ses parents défunts, comme il est rapporté dans le hadîth [que nous avons cité plus haut et selon lequel] "toutes les œuvres des fils d'Adam ont une fin, à l'exclusion de trois d'entre elles: un fils pieux qui fait des invocations en faveur de son père défunt..." Une autre tradition rapporte: " On présentera au défunt, sur de grands plateaux de lumière, les invocations [que font en sa faveur ceux qui sont restés après lui en ce bas-monde]."
 On objectera peut-être que rien ne garantit qu'un enfant devienne vertueux. Même si cela est vrai, cet enfant est tout de même croyant; et il est bien rare qu'une progéniture dont les parents sont attachés à la religion ne finisse pas par devenir vertueuse, surtout si ceux-ci se sont préoccupés de lui assurer une éducation convenable qui la porte à la piété et à la vertu. En outre, toute invocation que fait un musulman en faveur de ses parents leur est profitable; que l'enfant soit vertueux ou débauché, ils endossent toute prière et toute bonne action émanant de lui - puisque cela fait partie de leur gain spirituel (kasb) - sans toutefois porter la responsabilité de ses mauvaises actions, car nul ne sera chargé du fardeau d'un autre" (coran 6, 64; 13,16; 35, 19; etc.).
C'est pourquoi Dieu dit dans le Coran : Nous les réunirons avec leur postérité, sans rien leur retirer de leurs œuvres (coran 52, 21). C'est à dire: Nous ne diminuerons rien de leurs œuvres [méritoires], et Nous considérerons leurs enfants comme autant d'œuvres pies supplémentaires.

Quatrième et dernier point de vue

Au cas où l'enfant meurt avant son géniteur, il sera pour lui un intercesseur [au jour de la Résurrection]. On a en effet rapporté ces propos de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - : "Le petit enfant entraînera ses parents [avec lui] en Paradis". Et certaines recensions ajoutent cette précision : "... en les tenant par un pan de leur vêtement, comme je le fais à l'instant même avec le tien [ô Abû Hurayra] !" Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit également : "On dira au nouveau-né : entre au Paradis ! Mais rouge de colère, il se plantera devant le portail du Paradis, et s"écriera d'un air furieux : Je n'y entrerai  pas sans mes parents ! Une voix ordonnera alors : Faites entrer l'enfant en Paradis, accompagné de ses parents".  Et dans une autre tradition, il est dit ceci: "Les petits enfants se rassembleront sur le lieu de la Résurrection au moment où les autres créatures se présenteront [devant Dieu] pour être jugées. Mais on ordonnera aux anges: Emmenez tous ces enfants en Paradis. Alors il sera dit à ceux-ci: Bienvenue à la progéniture des musulmans ! Entrez céans, sans qu'il ne vous soit demandé aucun compte. Cependant, ils s'arrêteront net devant les portes du Paradis, et demanderont : Mais où sont donc nos pères et mères ? Les gardiens du Paradis leur expliqueront: Vos parents ne sont pas comme vous: ils ont des fautes et des péchés à se reprocher, dont ils ont maintenant à rendre à rendre compte, et pour lesquels ils vont être jugés. - Alors, poursuivit le Prophète, au porche même du Paradis et d'une seule voix, voilà tous ces petits enfants qui se mettront à crier et à mener grand tapage ! Si bien que Dieu - exalté soit-Il - (bien qu'Il soit parfaitement informé de ce qui se déroule) finira par demander à Ses anges : Mais quel est donc ce tumulte ? - O notre Seigneur, répondront les anges [d'un air désolé], ce sont les enfants des musulmans ! Ils refusent d'entrer en Paradis sans leurs parents. Alors le Très-Haut ordonnera aux anges: Entrez dans la foule des gens en attente, prenez les parents de ces enfants par la main, et faites-les entrer en Paradis !"

Le Prophète a dit encore - sur lui la grâce et la paix : "Celui dont deux enfants sont morts s'est d'ores et déjà élevé une enceinte qui le protégera du feu." Et il a dit également: "Celui qui verra mourir trois de ses enfants avant qu'ils n'atteignent la puberté, Dieu le fera entrer en Paradis, par un  effet de Sa miséricorde à leur égard." Un compagnon demanda alors: "O Envoyé de Dieu, et s'ils n'étaient que deux ? - Quand bien même ils ne seraient que deux", répondit le Prophète.



On raconte qu'un saint, auquel on faisait régulièrement des propositions de mariage, les refusait toutes; et cela pendant des années. Or, il advint qu'un matin, il se réveilla en demandant: " Mariez-moi, de grâce mariez-moi ! - ce qui fut bientôt fait. Comme on lui demandait quelle était la cause de ce revirement, il répondit: " Il se peut que Dieu m'accorde un enfant de ce mariage, puis qu'Il me le prenne; il me devancera alors [à titre d'intercesseur] dans l'autre monde..." Puis il ajouta: "J'ai vu, en rêve, se lever le jour de la Résurrection. J'étais au milieu de la foule des créatures en attente, sur le lieu du jugement, et affligé d'une soif si dévorante qu'il s'en fallait de peu que ma gorge n'éclatât. Tout autour de moi je voyais les créatures, que dévoraient pareillement la soif et l'anxiété... Ainsi étions-nous, lorsque soudain des enfants apparurent, qui se mêlèrent à notre foule. Ils portaient sur la tête un turban de lumière, et avaient à la main des aiguières d'argent et des coupes en or, avec lesquelles ils versèrent à boire à certaines personnes une à une, fendant la foule et dépassant sans s'arrêter un bon nombre d'entre elles. Comme l'un de ces enfants lumineux passait auprès de moi, je tendis la main vers lui en l'implorant: Verse-moi à boire, je t'en supplie, car la soif me tourmente ! Il me demanda : N'as-tu aucun enfant parmi nous ? Car nous ne versons à boire qu'à nos parents. - Et qui êtes-vous donc ? demandai-je à mon tour. - Nous sommes des enfants musulmans qui moururent en bas âge."

Rappelons pour finir que, selon l'une des interprétations avancées à propos du verset : Allez à votre champ ainsi que vous l'entendez, et faites-vous précéder d'une bonne action à votre profit (coran 2, 223), celle-ci est de se faire précéder dans l'autre monde par ses enfants. Tels sont donc les quatre points de vue qui montrent à l'évidence que le plus grand mérite du mariage est d'assurer une descendance.

Deuxième avantage, l'apaisement de la sensualité

Un autre avantage du mariage est de se protéger du diable en apaisant le désir amoureux; de se préserver des dangers de la concupiscence, de conserver la chasteté du regard et de garder le sexe [de commettre une faute]. C'est à tout cela que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - fait allusion lorsqu'il dit: "Celui qui se marie a d'ores et déjà préservé la moitié de sa religion; qu'il craigne Dieu en ce qui concerne l'autre moitié !", et lorsqu'il dit également: " Il vous faut vous marier; que celui qui n'est pas en mesure de le faire multiplie les jeûnes car cela sera pour lui comme une castration." Les autres traditions et paroles édifiantes que nous avons citées plus haut font toutes valoir cet avantage, qui est cependant moindre que le précédent, lui étant même subordonné puisque le désir amoureux agit comme un mandataire chargé de conduire l'homme à acquérir une descendance.

Par le mariage certes, l'homme retient ce qui pourrait le distraire [de Dieu], paye son tribut à la sensualité et contient les assauts [du désir]. Mais celui qui obéit à son Seigneur pour Lui être agréable n'est en rien comparable à celui qui ne Lui obéit qu'afin de se préserver des méfaits de la fonction dont il a été chargé. Que Dieu ait établi (litt: décrété) un lien entre désir amoureux et enfantement ne doit pas amener à en conclure que le but recherché dans le mariage est le plaisir des sens, dont la procréation ne serait qu'une conséquence nécessaire: aller à la selle résulte bien du fait de se nourrir, mais ne constitue pas un but en soi. Non, bien au contraire ! Le but premier du mariage est bel et bien la procréation, telle que l'exige la nature humaine en accord avec la Sagesse Divine; le désir de chair, n'étant quant à lui, que le stimulant [qui contraint à la procréation].

Mais par ma vie ! le désir amoureux comporte une autre sagesse que d'inciter à la procréation: c'est de faire goûter [à l'homme], lors de sa satisfaction, une volupté que nul plaisir au monde ne saurait égaler, n'était son caractère. C'est cette jouissance qui nous fait aspirer à celles qui nous ont été promises en Paradis. Il serait vain, en effet, d'inciter l'homme à des plaisirs dont il n'a point eu un avant-goût; autant vouloir tenter d'inspirer le désir amoureux à un impuissant, ou la soif du pouvoir à un enfant !... L'un des effets positifs de la jouissance en ce bas-monde réside donc dans le désir de la voir perpétuer en Paradis, et d'inciter ainsi les hommes à redoubler d'ardeur dans leur adoration.

Considère la Sagesse et la Miséricorde Divines, et la façon dont Dieu a susciter [litt: "enveloppé"] deux existences par un désir unique, l'une apparente et l'autre cachée:  l'existence apparente est la vie humaine qui perdure à travers une postérité, et est un aspect de la perpétuité de l'Être; l'existence cachée est la vie de l'Au-delà. Ainsi cette volupté, si imparfaite parce que si éphémère, n'a d'autre fin que de susciter le désir d'une jouissance absolue parce qu'illimitée, et d'encourager le serviteur à l'adoration qui peut l'y faire parvenir: tirant parti de ce désir intense, il y trouve une facilité à la pratique régulière des œuvres pies qui le conduiront aux délices paradisiaques. Il n'est pas un atome du corps de l'homme, en son extérieur ou son intérieur, qui ne témoigne de la subtilité de la Sagesse Divine et de Ses merveilles - que dis-je : pas un atome des cieux et de la terre ! Par elles, la raison en est confondue. Cependant, seul un cœur purifié accède à ses secrets, dans la mesure même où il est limpide, et pour autant qu'il aura su renoncer à la parure de ce monde, à ses illusions et ses tentations.

Du fait qu'il protège de la concupiscence, le mariage apparaît comme un aspect essentiel de la religion (à moins que l'homme ne soit frappé d'impuissance; mais cela n'est le fait que d'une petite minorité). En effet, celui que la sensualité domine au point que même la crainte de Dieu ne peut y mettre un frein se verra tôt ou tard commettre les pires turpitudes. C'est ainsi que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - interprétait de manière allusive le verset coranique: Si vous n'observez pas [ces prescriptions], il y aura la sédition sur terre, ainsi qu'une grande corruption (coran 7:73)]. Et même si l'homme craint suffisamment son Seigneur pour mettre une bride à ses élans, il n'arrivera qu'à préserver ses membres des exigences de la sensualité : il détournera le regard, retiendra sa virilité...
Mais préserver son cœur des pensées importunes et obsessionnelles ne relève pas de sa volonté ! Son âme ne cessera de l'assaillir, en l'entretenant de tout ce qui a trait à l'acte sexuel. Sans relâche, le diable lui insufflera des pensées insidieuses, et jusqu'au cours de la prière; son esprit sera traversé de tels fantasmes que s'il venait à s'en ouvrir à quiconque, fût-ce l'homme le plus ignoble, celui-ci rougirait d'entendre des choses pareilles ! Or, Dieu est parfaitement instruit de ce qui passe par le cœur de l'homme, qui est à Dieu ce que la langue est à l'homme (et c'est pourquoi la première préoccupation du disciple qui se met en route sur la Voie de l'Éternité doit être de purifier son cœur).



Quant à multiplier les jours de jeûne [ainsi que le conseille le Prophète], cela n'interrompt pas, chez la plupart des hommes, le cours des pensées insidieuses, à moins qu'il ne s'accompagne d'une grande faiblesse corporelle et d'une altération de la constitution. Voilà ce qui faisait dire à Ibn 'Abbâs - que Dieu soit satisfait du père et du fils - : "La dévotion de celui qui se consacre à Dieu n'est parfaite que lorsqu'il est marié." Cette calamité est la mieux répartie du monde, et bien rares sont ceux qui parviennent à s'y soustraire !

Selon Qatâda, le verset : Ne nous impose pas de charge au-dessus de nos forces (coran 2:286) contient une allusion à la continence. On rapporte de 'Ikrima et Mujâhid qu'ils interprétaient le verset : Et l'homme a été faible (coran 4:28), par le fait qu'il ne peut se passer de femme. Fayyâd ibn Najîh estimait, quant à lui: " Lorsque le membre de l'homme entre en érection, les deux tiers de sa raison l'abandonnent." D'autres savants préfèrent affirmer que "le tiers de sa raison l'abandonne." Selon une des rares exégèses coraniques que l'on rapporte d'Ibn 'Abbâs - que Dieu soit satisfait du père et du fils -, le verset: Et [je me réfugie en Dieu] contre le mal de l'obscurité (ghâsiq) lorsqu'elle envahit toute chose fait allusion à la virilité de l'homme lorsqu'elle se manifeste (coran 113: 3). En effet lorsque le désir (litt: l'épreuve) s'éveille, il est incontrôlable: ni la foi, ni la raison ne peuvent le repousser.

On voit donc que, tout en étant apte à susciter les deux vies évoquées plus haut, la sensualité est en  même une des armes les plus redoutables dont dispose le diable contre les fils d'Adam. C'est à cela que faisait allusion  le Prophète - sur lui la grâce et la paix - lorsque, s'adressant aux femmes, il leur disait : "Jamais je n'ai vu créatures, aussi peu douées d'intelligence et de religion, être aussi capables de l'emporter sur ceux qui sont pourvus d'intelligence !" Et cela, en raison du violent désir qu'elles peuvent susciter.

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - disait d'autre part dans une de ses invocations: "Mon Dieu, je Te demande de me préserver du mal que mon oreille peut entendre, du mal que mon œil peut regarder, du mal que mon cœur peut concevoir et du mal [causé] par ma semence." Il implorait aussi: " Je Te demande de purifier mon cœur et de préserver mon sexe". Si donc l'Envoyé de Dieu en personne - sur lui la grâce et la paix - demandait à son Seigneur de le protéger [des dangers du désir], qui pourrait les négliger ?
à suivre
source: Des vertus du mariage (Al - Ghazali)
















*Dans un ouvrage intitulé Kitâb al-mughnî 'an haml al-asfâr fî'l-asfâr, le traditioniste  Zayn al-Dîn al-'Irâqî a analysé les sources de toutes les traditions prophétiques citées dans l'Ihyâ. Selon lui, ce hadith ne remonte pas au prophète: il est mawqûf, c'est à dire que sa chaîne de transmission s'arrête à un Compagnon, en l'occurrence 'Umar ibn al-Khattâb.

dimanche 11 mai 2014

DES AVANTAGES DU MARIAGE ( 1 ) - IMÂM AL-GHAZALI

Le mariage comporte cinq avantages majeurs: on s'y assure une descendance; on y apaise sa sensualité; [on y trouve, en compagnie des femmes, détente et distraction]; l'économie domestique y est prise en charge [par l'épouse] et l'on y multiplie les liens de famille et de clan; enfin, on y trouve matière à lutter contre son âme, par les soins dont il faut entourer l'épouse.

Premier avantage, la descendance
Acquérir une descendance est au principe même du mariage, et la raison pour laquelle il a été institué. Le but en est de préserver la postérité de l'homme, de façon à ce que le monde ne soit jamais dépeuplé de l'espèce humaine. Aussi le désir amoureux n'a-t-il été créé qu'en vue d'inciter les époux à la procréation, comme une espèce de mandataire poussant le mâle à répandre sa semence, et la femme, à mettre à sa disposition son champ matriciel.
Tout cela afin de les amener tous deux, en douceur, à concevoir un enfant par le biais du rapport amoureux, de la même façon que l'on attire les oiseaux vers les rets du chasseur en y disséminant les graines dont ils sont friands. Ce n'est pas que la Puissance Divine fût incapable de créer les êtres sans recourir à l'union de l'homme et de la femme à l'ensemencement; c'est au contraire la Sagesse éternelle qui subordonna les effets aux causes, bien qu'étant en mesure de s'en dispenser totalement.
Cela, pour manifester de façon éclatante la puissance de Dieu, et que soient parachevées les merveilles de Sa création; pour que s'accomplisse ce que Son Bon-Vouloir a édicté de toute éternité et que se réalise Sa Parole, ainsi que les décrets du Calame.

Le fait de rechercher une descendance constitue en soi une œuvre pie, par laquelle on cherche à se rapprocher de Dieu; et cela de quatre points de vue qui constituent pour l'homme des incitations fondamentales à se marier, même après qu'il se soit protégé contre les dangers de la sensualité. Ce sont ces raisons qui font qu'aucun des saints personnages [que nous citions plus haut] ne désirait rencontrer Dieu en étant célibataire.

Le premier de ces points de vue, c'est qu'en concourant à mettre au monde un enfant, on agit en conformité avec la volonté Divine, qui est de perpétuer l'espèce humaine.

Le second, c'est qu'en contribuant à augmenter en nombre la Communauté musulmane [dont le Prophète tirera fierté au jour de la Résurrection], on recherche l'amour de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix.

Le troisième, c'est de rechercher une source de bénédiction en la personne d'un enfant pieux qu'on laissera derrière soi, et qui fera des invocations en faveur de son père défunt.

Et le quatrième, c'est de bénéficier de l'intercession de cet enfant, s'il venait à mourir en bas âge.

Premier point de vue

Cet aspect est de loin le plus délicat et le plus subtil, et également le plus éloigné de la compréhension des gens du commun. Mais pour les hommes doués d'un regard pénétrant sur les merveilles de la création de Dieu - exalté soit-Il - et sur les voies qu'emprunte Sa sagesse, il constitue au contraire le mobile le plus puissant et le plus digne d'attention. Supposons qu'un maître place entre les mains de son serviteur un soc de charrue, de la semence, et qu'il mette à sa disposition une terre destinée à être labourée et ensemencée. Le serviteur étant parfaitement en mesure de procéder au labour, le maître va de plus désigner un mandataire chargé de l'inciter à s'acquitter de son travail. Si maintenant le serviteur se montre paresseux, s'il détériore l'instrument du labour, dilapide la semence, la laissant se dégrader et se perdre, et que par quelque faux-semblant il éloigne de lui le mandataire, n'aura-t-il pas mérité la réprobation de son maître et son aversion ?



Or Dieu - qu'Il soit exalté - a créé les époux, mari et femme. A l'homme, Il donna le membre viril et les testicules; puis Il créa la semence qu'Il plaça dans ses reins, disposant en son appareil génital les canaux et les vaisseaux par lesquels elle peut s'écouler. Il créa la matrice de la femme en guise de lieu de dépôt et de séjour pour la semence. Ensuite, Il soumit l'homme et la femme au désir amoureux, lequel est chargé [de les pousser à procréer]. Tous ces actes, tous ces instruments organiques [mis au service de la procréation] ne sont-ils pas l'expression évidente de la volonté de leur Créateur ? N'invitent-ils pas tout homme doué de perspicacité à reconnaître à quelle fin tout ceci a été apprêté pour lui ? Quand bien même Dieu n'aurait pas, par la bouche de Son Envoyé - sur lui la grâce et la paix - clairement exposé Sa volonté en ces termes : " Mariez-vous, vous vous multiplierez...", n'a-t-Il pas cependant [par la simple constitution corporelle de l'être humain] établi l'ordre et divulgué le secret [de Sa Volonté] ? Si bien que quiconque s'interdit le mariage compromet par son refus la procréation, gaspille sa semence, et détériore les instruments que Dieu a apprêtés à cet effet; de plus, il contrevient à ce que réclame la nature humaine elle-même, et à ce que la Sagesse Divine a inscrit sur chacun des membres de l'homme - comme cela est immédiatement intelligible à quiconque en considère la forme corporelle - d'une écriture sans lettre ni son, et que seuls savent déchiffrer ceux que leur Seigneur a doués de la clairvoyance nécessaire pour percer les subtilités de Son éternel sagesse ! C'est la raison pour laquelle la Loi juge si grave le fait de tuer un enfant, ainsi que la wa'ad, [cette barbare coutume pré-islamique qui consistait à enterrer vives, dès leur naissance, les fillettes indésirables] : parce que cela constitue une entrave à l'existence. Et c'est sans doute cela qu'avait à l'esprit le savant qui a déclaré: "Le coït interrompu (al-'azl) est une des deux façons d'enterrer vif un enfant (wa'ad)".

Celui qui contracte un mariage apparaît donc clairement comme concourant à accomplir ce que Dieu Lui-même - exalté soit-Il - désire voir mené à son terme, et celui qui s'en détourne, comme interrompant et dissipant ce que Dieu déteste voir dissipé. C'est par cette même volonté de voir l'humanité se perpétuer que Dieu - exalté soit-Il - a ordonné de sustenter [les pauvres] en y insistant et en employant pour cette forme de charité l'expression de "prêt" (qard), comme le verset : Qui donc accordera à Dieu un crédit avantageux ? Il le lui rendra en abondance".

Maintenant si tu me faisais l'objection suivante: admettons que la préservation de l'espèce humaine et de sa postérité soit agréable à Dieu; cela laisse supposer qu'en contrepartie, sa disparition Lui est désagréable, et implique en conséquence, dans la Volonté Divine, une distinction entre la vie et la mort. Or, chacun sait que tout résulte du Bon-vouloir de Dieu, lequel est souverain à l'égard des mondes. Dans ce cas, comment pourrait-Il faire une distinction entre la vie et le trépas des hommes, entre la perpétuation de l'espèce et sa disparition ?

[A cela je répondrai:] sache que d'une parole fondée, tu prétends tirer une conclusion fausse. Ce que nous avons dit plus haut n'exclut en rien que les créatures soient dans leur ensemble soumises à la Volonté Divine: le bien comme le mal, le bienfaisant comme le nuisible. Car si l'amour et la répulsion s'opposent [effectivement] l'un à l'autre, aucun d'eux ne peut entrer en contradiction avec la Volonté Divine elle-même ! Une chose peut parfaitement être voulue de  Dieu tout étant détestée de Lui, tout comme une autre peut être voulue de Dieu et Lui être agréable. Ainsi, Dieu déteste la transgression, mais celle-ci n'est possible qu'en conformité avec Sa volonté.
De même, les actes d'obéissance surviennent selon Sa volonté; ils sont non seulement voulus mais aimés de Dieu et Son agrément. Nous ne disons donc pas de la mécréance et du mal qu'ils sont aimés ou agréés de Dieu : nous disons qu'ils sont conformes à Sa volonté. N'est-t-il pas dit : Dieu n'accepte point de Ses serviteurs l'infidélité ? (coran 39,7). Ira-t-on alors prétendre que la disparition ou la préservation de l'espèce humaine est indifférente à Dieu ? N'est-ce pas Lui qui affirme [dans une des traditions seigneuriales] : " Il n'est rien qui ne Me cause plus de réticence que de M'emparer de l'âme de Mon serviteur soumis, alors que celui-ci déteste la mort. Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal - cependant, il faut qu'il meure !" Lorsque Dieu dit "il faut qu'il meure" cela indique clairement l'antériorité [ontologique] de Sa volonté [sur Sa réticence à faire mourir le serviteur] et de Son décret mentionné dans les versets : C'est Nous qui vous avons infligé la mort et : [C'est Lui] qui a créé la mort et la vie (coran 54,60 et (67,2). Il n'y a donc aucune contradiction lorsque Dieu dit C'est Nous qui vous avons infligé la mort et cette autre affirmation : " Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal." Pour comprendre tout cela avec précision, il faudrait d'abord établir ce que signifient précisément les expressions : Dieu veut, Dieu aime, Dieu déteste... et quelle valeur il convient de leur attacher exactement. Car la compréhension que l'homme se fait d'emblée de telles expressions est en fait à la mesure de sa volonté, de ses désirs, de ses répulsions. Qu'il est loin de la vérité ! Entre les Attributs Divins et les attributs créaturels dont est pourvu le serviteur, il y a l'abîme qui sépare l'Essence transcendante de celle du serviteur ! Celle-ci est substance et accident, Celle-là est sainte [et exempte de toute contingence]; entre les deux, nulle comparaison possible, pas plus qu'aucun Attribut Divin ne saurait être comparé à un attribut créaturel.



Mes ces vérités sont de celles auxquelles on n'accède que par la science du Dévoilement; elles sont dissimulées derrière les secrets de la Prédestination qu'il est interdit de divulguer ! Mieux vaut donc renoncer à en dire davantage sur ce sujet: tenons-nous-en à ce qui faisait l'objet même de notre étude, à savoir la différence entre le fait de rechercher le mariage et celui de s'en abstenir. Celui qui s'abstient de se marier laisse s'éteindre une lignée dont Dieu a maintenu la pérennité, génération après génération, depuis Adam - sur lui la grâce et la paix - jusqu'à sa propre personne.
Aussi, qui se refuse au mariage met donc fin, à partir de lui-même, à une existence ininterrompue depuis celle d'Adam - sur lui la paix - et meurt en conséquence en homme "tronqué", sans laisser aucune postérité. D'ailleurs, si la seule raison de se marier était de se préserver de la concupiscence, pourquoi Mu'âdh [ibn Jabal] aurait-il demandé, alors même qu'il était atteint de la peste, qu'on le marie afin qu'il ne rencontrât point Dieu en étant célibataire ?

Mais justement, objectera-tu sans doute, dans l'état de santé qui était le sien à ce moment, Mu'âdh ne pouvait espérer avoir d'enfant ! Et tu demanderas: quelle était la raison qui pouvait le pousser à désirer se marier à nouveau ? A cela je répondrai: l'enfant est le fruit de l'union, elle-même suscitée par le désir; il y a là un ordre de chose qui ne dépend en rien de la volonté du serviteur. Ce qui en dépend par contre, c'est de rechercher la compagnie d'une personne qui puisse susciter en lui ce désir; ce qui, en toute hypothèse est toujours possible. Aussi celui qui contracte un mariage a d'ores et déjà rempli ses obligations, et fait ce qu'il avait à faire; le reste n'est plus du ressort de sa volonté. C'est pourquoi le mariage est recommandé même à l'impuissant - car l'éveil du désir amoureux reste une chose mystérieuse dont nul ne connaît réellement les détours - et jusqu'au castrat, pour lequel le mariage demeure recommandé en dépit de son incapacité à avoir des enfants: d'une façon similaire, n'est-il pas recommandé au chauve de se passer le rasoir sur le crâne [|à la fin du Pèlerinage], de manière à faire comme tout un chacun, et par imitation des Anciens (al-Salaf) ? N'est-il pas non plus recommandé jusqu'à nos jours, à qui effectue le Pèlerinage, d'accélérer le pas en faisant les trois premiers tours de la Maison sacrée, et de rejeter les deux pans de son vêtement sur son épaule, alors que [pour les premiers musulmans] le but en était de montrer leur endurance aux mécréants [de la Mecque] ? L'imitation de ceux qui agirent ainsi n'en est pas moins devenue une règle coutumière (sunna) à observer par tous ceux qui accomplissent le Pèlerinage après eux.

Cela dit, la recommandation de se marier est moindre pour un impuissant ou un castrat que pour un homme doué de toute sa virilité, et peut-être infiniment moindre dans la mesure où une telle union comporte un aspect répréhensible: celui de voir une épouse délaissée, et spoliée dans la légitime satisfaction de ses besoins. Ce qui n'est pas sans présenter un certain danger.Voilà pourquoi les Anciens jugeaient de façon si sévère l'homme qui renonçait au mariage, fut-il dénué de tout désir charnel.

à suivre...
source: Des vertus du mariage (Imâm Ghazali)