jeudi 31 juillet 2014

Des avantages du mariage (4) IMÂM AL GHAZALI

Cinquième avantage, l'effort sur soi-même que demande le mariage

Le dernier avantage du mariage, c'est d'y trouver matière à combattre son âme et à la dompter, par l'attention soutenue qu'il faut porter à son épouse en la protégeant et en s'acquittant de ses droits, tout en supportant patiemment son caractère et en endurant ses méfaits; en s'efforçant de la réformer, de la conduire sur le chemin de la religion, et également d'acquérir des gains licites pour sa famille; enfin, en se chargeant de l'éducation de ses enfants... Toutes ces responsabilités constituent des fonctions (litt: des oeuvres) d'un mérite éminent puisqu'elles réunissent les qualités de guide et de protecteur. Femmes et enfants sont en effet comparables à un troupeau, dont la prise en charge est chose sublime: seul s'en détournera celui qui redoute de ne pas être à la hauteur de la charge ! Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a d'ailleurs affirmé : " Une seule journée d'un fondé de pouvoir* équitable est préférable à soixante-dix années d'adoration." Et il a précisé par ailleurs: "Chacun d'entre vous est un berger qui sera interrogé au sujet de son troupeau."


Celui qui s'occupe à la fois du salut de son âme et de celle des autres est-il comparable à celui qui n'a que lui-même à charge ? Qui endure [une famille, avec] les difficultés [que cela comporte], ne vaut-il pas mieux que celui qui s'épargne toute fatigue ? En vérité, supporter femme et enfants tient lieu de combat pour la cause de Dieu ! Voilà qui explique la parole de Bishr [déjà citée plus haut] : " Il y'a trois points par lesquels Ahmed ibn Hanbal me dépasse en mérite: il recherche ce qui est licite pour lui-même et pour autrui, alors que je ne le recherche que pour ma simple personne..." L'envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - a dit également : " Tout ce que l'homme procure à sa famille lui est compté comme aumône; aussi recevra-t-il une récompense pour toute nourriture (litt: pour chaque bouchée) qu'il place dans la bouche de son épouse."

Un homme se vanta un jour auprès d'un savant : " De toutes les œuvres pies, Dieu m'a accordé une part" - et se mettant à les énumérer, il en  arriva bientôt au Pèlerinage, au combat pour la cause de Dieu, et d'autres encore... Alors le savant lui coupa la parole en lui demandant : Mais que sont ces œuvres comparées à celle des Abdâl (la catégorie la plus élevée des saints)  ? - Et quelles sont-elles demanda l'homme [interloqué]. - Se procurer des gains licites, et subvenir aux besoins d'une famille," lui répondit le savant.

Un jour qu'ibn al-Mubârak se trouvait avec ses frères dans une expédition militaire, il leur demanda : "Connaissez-vous meilleure œuvre que celle qui nous occupe en ce moment ? - Non, lui répondirent-ils, [nous n'en connaissons point]. - Pour ma part, leur dit-il, j'en vois une. - Et quelle est-elle ? lui demandèrent alors ses compagnons. - Représentez-vous, leur dit ibn al-Mubârak, un homme vertueux et père de famille : se réveillant au beau milieu de la nuit, il verrait ses enfants endormis non couverts, et les couvrirait alors de son manteau pour les protéger du froid... Eh bien ! cette simple marque d'attention est plus méritoire que ce que nous sommes en train d'accomplir en ce moment".

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit ceci: "Celui qui s'acquitte de sa prière avec recueillement, dont la famille est nombreuse, les revenus modestes, et qui évite de médire des musulmans, sera en Paradis aussi proche de moi que le sont ces deux-là [et il leva l'index et le majeur de la main droite]". Selon une autre tradition: "En vérité Dieu aime l'homme pauvre, vertueux et père de famille". Et encore: "Lorsque les péchés du serviteur sont trop nombreux, Dieu lui fait expier en le soumettant aux soucis que lui cause sa famille." ...

On rapporte qu'un dévot s'occupa à merveille de son épouse, jusqu'à ce qu'elle décède. On lui proposa alors de se remarier, mais il déclina l'offre en disant: "La solitude offrira davantage de quiétude à mon cœur et me permettra de concentrer mes pensées [sur Dieu]". Mais [revenant sur sa décision peu de temps après,] il fit ce récit : " Sept jours s'étaient écoulés depuis la mort de ma femme, lorsqu'une nuit je fis un rêve funeste : les portes du ciel étaient grandes ouvertes, et des hommes en descendaient, évoluant dans les airs par vagues successives. A chaque fois que l'un de ces hommes passait devant moi, il regardait dans ma direction et disait à celui venait derrière lui : Tiens, le voilà donc ce malheureux ! - Oui, c'est bien lui, répondait l'autre. Celui qui venait après acquiesçait de même, et le quatrième, et ainsi de suite...
Je n'osai les interroger tant j'étais saisi de crainte révérencielle. Cela dura jusqu'à la venue du dernier d'entre eux qui était un adolescent. [M'enhardissant alors,] je lui demandai : O toi, quel est donc ce malheureux que vous vous désigné les uns aux autres ? - Mais c'est toi-même, me répondit-il. - Et pourquoi donc ? m'étonnais-je. Le jeune homme me dit alors : Nous élevions tes œuvres [jusqu'à Dieu], avec celles des combattants pour la cause de Dieu; mais depuis une semaine très exactement, on nous a ordonné de les placer avec celles de ceux qui se dérobent au combat. Toutefois, nous ignorons ce que tu as fait [pour encourir une telle disgrâce]." Et le dévot supplia alors ses frères : "Mariez-moi, mariez-moi !" Depuis ce temps-là, il eut toujours avec lui deux ou trois épouses...
...
C'est en endurant tout cela avec patience que l'on exerce son âme dompter sa colère et à acquérir le meilleur des caractères. En effet, ni les vices, ni les défauts dissimulés de l'égo ne sauraient filtrer chez celui qui vit seul ou en compagnie de gens éduqués. Il est donc indispensable, à qui s'engage dans la Voie qui conduit à l'ultime Demeure, de  soumettre son âme à l'épreuve en s'exposant à de semblables situations et de s'habituer à les supporter avec calme. C'est ainsi qu'il acquerra un caractère égal et maîtrisera son ego, en se purifiant de toutes les tendances blâmables qu'il porte en lui. En outre, bien que le fait de supporter une famille représente un véritable exercice spirituel (riyâda) et requiert un effort pénible pour la prendre en charge et subvenir à ses besoins, cela constitue de plus une œuvre d'adoration en soi.

Voilà donc un dernier avantage du mariage; mais seuls deux sortes d'hommes en tireront parti :
soit le novice qui, s'engageant dans la Voie, a en vue de lutter contre son âme égoïste par le biais d'exercices spirituels, et de policer son caractère: rien n'exclut qu'il voie dans le mariage une discipline pour combattre son âme et la maîtriser;
soit le serviteur ordinaire, qui n'a ni cheminement intérieur, ni aucune disposition pour la méditation ou l'intuition spirituelle, et qui adore son Seigneur avec son corps uniquement, que ce soit en accomplissant la prière, le Pèlerinage, ou tout autre rite. Celui-là retirera bien plus de mérite à travailler pour son épouse et ses enfants en leur assurant une subsistance licite et une éducation soignée, qu'en s'acquittant de façon mécanique (litt : par le biais de son corps) d'actes cultuels dont les bienfaits ne s'étendent pas à un autre que lui-même.

Quant à l'homme aux mœurs policées - que ce soit par penchant naturel ou par acquisition méthodique -, disposé à la méditation, à l'intuition spirituelle, à l'étude des sciences religieuses et au dévoilement initiatique (mukâshafât), il ne convient pas qu'il prenne une épouse avec cette intention, parce qu'il a suffisamment d'exercices spirituels à accomplir [en dehors du mariage]. L'acte d'adoration que représente l'effort déployé à l'entretien d'une famille est d'un moindre mérite que [l'étude et l'enseignement de] la science sacrée qui constituent eux aussi une œuvre pie, mais profitent à infiniment plus de créatures.

Voilà donc étudiés les avantages que présente le mariage du point de vue religieux, et qui font le mérite de cette institution.

Source: Des vertus du mariage (Ghazâli)











Le terme wâli, qui est de même racine que le mot walî (saint, protégé de Dieu), désigne quiconque détient un pouvoir, justifié ou non. Le chef de famille a donc la charge wilâya) de sa famille au même titre que le prince a la charge de ses sujets.