dimanche 18 mai 2014

DES AVANTAGES DU MARIAGE ( 2 ) - IMÂM AL-GHAZALI


Deuxième point de vue

En recherchant une descendance, on œuvre à gagner l'amour de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - et sa satisfaction, en augmentant en nombre la Communauté musulmane, ce dont il tirera fierté [au jour de la Résurrection], ainsi qu'il l'a clairement exprimé dans une tradition [que nous avons rapportée plus haut].
Une parole qui indique de manière globale l'importance de la postérité sous tous ses aspects est celle attribuée à 'Umar qui, multipliant les mariages, déclarait: " Je ne me marie qu'en vue d'[accroître] ma descendance".

Quant aux traditions prophétiques qui semblent désavouer le femme stérile, telles que: "Il y a assurément plus d'utilité dans une natte de jonc, abandonnée dans un coin de la maison, que dans une femme qui n'enfante pas*!"

- "La meilleure de vos femmes est une épouse aimante qui donne beaucoup d'enfants." - "Une femme laide  mais féconde est préférable à une beauté sans enfants", elles indiquent toutes que le désir d'un enfant fait davantage le mérite du mariage que celui de se protéger des méfaits de la concupiscence : car une belle femme est bien plus à même de protéger la vertu [de son mari], de détourner son regard [d'une autre] et d'assouvir sa sensualité [que ne saurait le faire une femme disgracieuse].

Troisième point de vue

Le troisième objectif recherché doit être de laisser après sa mort un enfant vertueux qui fasse des invocations en faveur de ses parents défunts, comme il est rapporté dans le hadîth [que nous avons cité plus haut et selon lequel] "toutes les œuvres des fils d'Adam ont une fin, à l'exclusion de trois d'entre elles: un fils pieux qui fait des invocations en faveur de son père défunt..." Une autre tradition rapporte: " On présentera au défunt, sur de grands plateaux de lumière, les invocations [que font en sa faveur ceux qui sont restés après lui en ce bas-monde]."
 On objectera peut-être que rien ne garantit qu'un enfant devienne vertueux. Même si cela est vrai, cet enfant est tout de même croyant; et il est bien rare qu'une progéniture dont les parents sont attachés à la religion ne finisse pas par devenir vertueuse, surtout si ceux-ci se sont préoccupés de lui assurer une éducation convenable qui la porte à la piété et à la vertu. En outre, toute invocation que fait un musulman en faveur de ses parents leur est profitable; que l'enfant soit vertueux ou débauché, ils endossent toute prière et toute bonne action émanant de lui - puisque cela fait partie de leur gain spirituel (kasb) - sans toutefois porter la responsabilité de ses mauvaises actions, car nul ne sera chargé du fardeau d'un autre" (coran 6, 64; 13,16; 35, 19; etc.).
C'est pourquoi Dieu dit dans le Coran : Nous les réunirons avec leur postérité, sans rien leur retirer de leurs œuvres (coran 52, 21). C'est à dire: Nous ne diminuerons rien de leurs œuvres [méritoires], et Nous considérerons leurs enfants comme autant d'œuvres pies supplémentaires.

Quatrième et dernier point de vue

Au cas où l'enfant meurt avant son géniteur, il sera pour lui un intercesseur [au jour de la Résurrection]. On a en effet rapporté ces propos de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix - : "Le petit enfant entraînera ses parents [avec lui] en Paradis". Et certaines recensions ajoutent cette précision : "... en les tenant par un pan de leur vêtement, comme je le fais à l'instant même avec le tien [ô Abû Hurayra] !" Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - a dit également : "On dira au nouveau-né : entre au Paradis ! Mais rouge de colère, il se plantera devant le portail du Paradis, et s"écriera d'un air furieux : Je n'y entrerai  pas sans mes parents ! Une voix ordonnera alors : Faites entrer l'enfant en Paradis, accompagné de ses parents".  Et dans une autre tradition, il est dit ceci: "Les petits enfants se rassembleront sur le lieu de la Résurrection au moment où les autres créatures se présenteront [devant Dieu] pour être jugées. Mais on ordonnera aux anges: Emmenez tous ces enfants en Paradis. Alors il sera dit à ceux-ci: Bienvenue à la progéniture des musulmans ! Entrez céans, sans qu'il ne vous soit demandé aucun compte. Cependant, ils s'arrêteront net devant les portes du Paradis, et demanderont : Mais où sont donc nos pères et mères ? Les gardiens du Paradis leur expliqueront: Vos parents ne sont pas comme vous: ils ont des fautes et des péchés à se reprocher, dont ils ont maintenant à rendre à rendre compte, et pour lesquels ils vont être jugés. - Alors, poursuivit le Prophète, au porche même du Paradis et d'une seule voix, voilà tous ces petits enfants qui se mettront à crier et à mener grand tapage ! Si bien que Dieu - exalté soit-Il - (bien qu'Il soit parfaitement informé de ce qui se déroule) finira par demander à Ses anges : Mais quel est donc ce tumulte ? - O notre Seigneur, répondront les anges [d'un air désolé], ce sont les enfants des musulmans ! Ils refusent d'entrer en Paradis sans leurs parents. Alors le Très-Haut ordonnera aux anges: Entrez dans la foule des gens en attente, prenez les parents de ces enfants par la main, et faites-les entrer en Paradis !"

Le Prophète a dit encore - sur lui la grâce et la paix : "Celui dont deux enfants sont morts s'est d'ores et déjà élevé une enceinte qui le protégera du feu." Et il a dit également: "Celui qui verra mourir trois de ses enfants avant qu'ils n'atteignent la puberté, Dieu le fera entrer en Paradis, par un  effet de Sa miséricorde à leur égard." Un compagnon demanda alors: "O Envoyé de Dieu, et s'ils n'étaient que deux ? - Quand bien même ils ne seraient que deux", répondit le Prophète.



On raconte qu'un saint, auquel on faisait régulièrement des propositions de mariage, les refusait toutes; et cela pendant des années. Or, il advint qu'un matin, il se réveilla en demandant: " Mariez-moi, de grâce mariez-moi ! - ce qui fut bientôt fait. Comme on lui demandait quelle était la cause de ce revirement, il répondit: " Il se peut que Dieu m'accorde un enfant de ce mariage, puis qu'Il me le prenne; il me devancera alors [à titre d'intercesseur] dans l'autre monde..." Puis il ajouta: "J'ai vu, en rêve, se lever le jour de la Résurrection. J'étais au milieu de la foule des créatures en attente, sur le lieu du jugement, et affligé d'une soif si dévorante qu'il s'en fallait de peu que ma gorge n'éclatât. Tout autour de moi je voyais les créatures, que dévoraient pareillement la soif et l'anxiété... Ainsi étions-nous, lorsque soudain des enfants apparurent, qui se mêlèrent à notre foule. Ils portaient sur la tête un turban de lumière, et avaient à la main des aiguières d'argent et des coupes en or, avec lesquelles ils versèrent à boire à certaines personnes une à une, fendant la foule et dépassant sans s'arrêter un bon nombre d'entre elles. Comme l'un de ces enfants lumineux passait auprès de moi, je tendis la main vers lui en l'implorant: Verse-moi à boire, je t'en supplie, car la soif me tourmente ! Il me demanda : N'as-tu aucun enfant parmi nous ? Car nous ne versons à boire qu'à nos parents. - Et qui êtes-vous donc ? demandai-je à mon tour. - Nous sommes des enfants musulmans qui moururent en bas âge."

Rappelons pour finir que, selon l'une des interprétations avancées à propos du verset : Allez à votre champ ainsi que vous l'entendez, et faites-vous précéder d'une bonne action à votre profit (coran 2, 223), celle-ci est de se faire précéder dans l'autre monde par ses enfants. Tels sont donc les quatre points de vue qui montrent à l'évidence que le plus grand mérite du mariage est d'assurer une descendance.

Deuxième avantage, l'apaisement de la sensualité

Un autre avantage du mariage est de se protéger du diable en apaisant le désir amoureux; de se préserver des dangers de la concupiscence, de conserver la chasteté du regard et de garder le sexe [de commettre une faute]. C'est à tout cela que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - fait allusion lorsqu'il dit: "Celui qui se marie a d'ores et déjà préservé la moitié de sa religion; qu'il craigne Dieu en ce qui concerne l'autre moitié !", et lorsqu'il dit également: " Il vous faut vous marier; que celui qui n'est pas en mesure de le faire multiplie les jeûnes car cela sera pour lui comme une castration." Les autres traditions et paroles édifiantes que nous avons citées plus haut font toutes valoir cet avantage, qui est cependant moindre que le précédent, lui étant même subordonné puisque le désir amoureux agit comme un mandataire chargé de conduire l'homme à acquérir une descendance.

Par le mariage certes, l'homme retient ce qui pourrait le distraire [de Dieu], paye son tribut à la sensualité et contient les assauts [du désir]. Mais celui qui obéit à son Seigneur pour Lui être agréable n'est en rien comparable à celui qui ne Lui obéit qu'afin de se préserver des méfaits de la fonction dont il a été chargé. Que Dieu ait établi (litt: décrété) un lien entre désir amoureux et enfantement ne doit pas amener à en conclure que le but recherché dans le mariage est le plaisir des sens, dont la procréation ne serait qu'une conséquence nécessaire: aller à la selle résulte bien du fait de se nourrir, mais ne constitue pas un but en soi. Non, bien au contraire ! Le but premier du mariage est bel et bien la procréation, telle que l'exige la nature humaine en accord avec la Sagesse Divine; le désir de chair, n'étant quant à lui, que le stimulant [qui contraint à la procréation].

Mais par ma vie ! le désir amoureux comporte une autre sagesse que d'inciter à la procréation: c'est de faire goûter [à l'homme], lors de sa satisfaction, une volupté que nul plaisir au monde ne saurait égaler, n'était son caractère. C'est cette jouissance qui nous fait aspirer à celles qui nous ont été promises en Paradis. Il serait vain, en effet, d'inciter l'homme à des plaisirs dont il n'a point eu un avant-goût; autant vouloir tenter d'inspirer le désir amoureux à un impuissant, ou la soif du pouvoir à un enfant !... L'un des effets positifs de la jouissance en ce bas-monde réside donc dans le désir de la voir perpétuer en Paradis, et d'inciter ainsi les hommes à redoubler d'ardeur dans leur adoration.

Considère la Sagesse et la Miséricorde Divines, et la façon dont Dieu a susciter [litt: "enveloppé"] deux existences par un désir unique, l'une apparente et l'autre cachée:  l'existence apparente est la vie humaine qui perdure à travers une postérité, et est un aspect de la perpétuité de l'Être; l'existence cachée est la vie de l'Au-delà. Ainsi cette volupté, si imparfaite parce que si éphémère, n'a d'autre fin que de susciter le désir d'une jouissance absolue parce qu'illimitée, et d'encourager le serviteur à l'adoration qui peut l'y faire parvenir: tirant parti de ce désir intense, il y trouve une facilité à la pratique régulière des œuvres pies qui le conduiront aux délices paradisiaques. Il n'est pas un atome du corps de l'homme, en son extérieur ou son intérieur, qui ne témoigne de la subtilité de la Sagesse Divine et de Ses merveilles - que dis-je : pas un atome des cieux et de la terre ! Par elles, la raison en est confondue. Cependant, seul un cœur purifié accède à ses secrets, dans la mesure même où il est limpide, et pour autant qu'il aura su renoncer à la parure de ce monde, à ses illusions et ses tentations.

Du fait qu'il protège de la concupiscence, le mariage apparaît comme un aspect essentiel de la religion (à moins que l'homme ne soit frappé d'impuissance; mais cela n'est le fait que d'une petite minorité). En effet, celui que la sensualité domine au point que même la crainte de Dieu ne peut y mettre un frein se verra tôt ou tard commettre les pires turpitudes. C'est ainsi que le Prophète - sur lui la grâce et la paix - interprétait de manière allusive le verset coranique: Si vous n'observez pas [ces prescriptions], il y aura la sédition sur terre, ainsi qu'une grande corruption (coran 7:73)]. Et même si l'homme craint suffisamment son Seigneur pour mettre une bride à ses élans, il n'arrivera qu'à préserver ses membres des exigences de la sensualité : il détournera le regard, retiendra sa virilité...
Mais préserver son cœur des pensées importunes et obsessionnelles ne relève pas de sa volonté ! Son âme ne cessera de l'assaillir, en l'entretenant de tout ce qui a trait à l'acte sexuel. Sans relâche, le diable lui insufflera des pensées insidieuses, et jusqu'au cours de la prière; son esprit sera traversé de tels fantasmes que s'il venait à s'en ouvrir à quiconque, fût-ce l'homme le plus ignoble, celui-ci rougirait d'entendre des choses pareilles ! Or, Dieu est parfaitement instruit de ce qui passe par le cœur de l'homme, qui est à Dieu ce que la langue est à l'homme (et c'est pourquoi la première préoccupation du disciple qui se met en route sur la Voie de l'Éternité doit être de purifier son cœur).



Quant à multiplier les jours de jeûne [ainsi que le conseille le Prophète], cela n'interrompt pas, chez la plupart des hommes, le cours des pensées insidieuses, à moins qu'il ne s'accompagne d'une grande faiblesse corporelle et d'une altération de la constitution. Voilà ce qui faisait dire à Ibn 'Abbâs - que Dieu soit satisfait du père et du fils - : "La dévotion de celui qui se consacre à Dieu n'est parfaite que lorsqu'il est marié." Cette calamité est la mieux répartie du monde, et bien rares sont ceux qui parviennent à s'y soustraire !

Selon Qatâda, le verset : Ne nous impose pas de charge au-dessus de nos forces (coran 2:286) contient une allusion à la continence. On rapporte de 'Ikrima et Mujâhid qu'ils interprétaient le verset : Et l'homme a été faible (coran 4:28), par le fait qu'il ne peut se passer de femme. Fayyâd ibn Najîh estimait, quant à lui: " Lorsque le membre de l'homme entre en érection, les deux tiers de sa raison l'abandonnent." D'autres savants préfèrent affirmer que "le tiers de sa raison l'abandonne." Selon une des rares exégèses coraniques que l'on rapporte d'Ibn 'Abbâs - que Dieu soit satisfait du père et du fils -, le verset: Et [je me réfugie en Dieu] contre le mal de l'obscurité (ghâsiq) lorsqu'elle envahit toute chose fait allusion à la virilité de l'homme lorsqu'elle se manifeste (coran 113: 3). En effet lorsque le désir (litt: l'épreuve) s'éveille, il est incontrôlable: ni la foi, ni la raison ne peuvent le repousser.

On voit donc que, tout en étant apte à susciter les deux vies évoquées plus haut, la sensualité est en  même une des armes les plus redoutables dont dispose le diable contre les fils d'Adam. C'est à cela que faisait allusion  le Prophète - sur lui la grâce et la paix - lorsque, s'adressant aux femmes, il leur disait : "Jamais je n'ai vu créatures, aussi peu douées d'intelligence et de religion, être aussi capables de l'emporter sur ceux qui sont pourvus d'intelligence !" Et cela, en raison du violent désir qu'elles peuvent susciter.

Le Prophète - sur lui la grâce et la paix - disait d'autre part dans une de ses invocations: "Mon Dieu, je Te demande de me préserver du mal que mon oreille peut entendre, du mal que mon œil peut regarder, du mal que mon cœur peut concevoir et du mal [causé] par ma semence." Il implorait aussi: " Je Te demande de purifier mon cœur et de préserver mon sexe". Si donc l'Envoyé de Dieu en personne - sur lui la grâce et la paix - demandait à son Seigneur de le protéger [des dangers du désir], qui pourrait les négliger ?
à suivre
source: Des vertus du mariage (Al - Ghazali)
















*Dans un ouvrage intitulé Kitâb al-mughnî 'an haml al-asfâr fî'l-asfâr, le traditioniste  Zayn al-Dîn al-'Irâqî a analysé les sources de toutes les traditions prophétiques citées dans l'Ihyâ. Selon lui, ce hadith ne remonte pas au prophète: il est mawqûf, c'est à dire que sa chaîne de transmission s'arrête à un Compagnon, en l'occurrence 'Umar ibn al-Khattâb.

dimanche 11 mai 2014

DES AVANTAGES DU MARIAGE ( 1 ) - IMÂM AL-GHAZALI

Le mariage comporte cinq avantages majeurs: on s'y assure une descendance; on y apaise sa sensualité; [on y trouve, en compagnie des femmes, détente et distraction]; l'économie domestique y est prise en charge [par l'épouse] et l'on y multiplie les liens de famille et de clan; enfin, on y trouve matière à lutter contre son âme, par les soins dont il faut entourer l'épouse.

Premier avantage, la descendance
Acquérir une descendance est au principe même du mariage, et la raison pour laquelle il a été institué. Le but en est de préserver la postérité de l'homme, de façon à ce que le monde ne soit jamais dépeuplé de l'espèce humaine. Aussi le désir amoureux n'a-t-il été créé qu'en vue d'inciter les époux à la procréation, comme une espèce de mandataire poussant le mâle à répandre sa semence, et la femme, à mettre à sa disposition son champ matriciel.
Tout cela afin de les amener tous deux, en douceur, à concevoir un enfant par le biais du rapport amoureux, de la même façon que l'on attire les oiseaux vers les rets du chasseur en y disséminant les graines dont ils sont friands. Ce n'est pas que la Puissance Divine fût incapable de créer les êtres sans recourir à l'union de l'homme et de la femme à l'ensemencement; c'est au contraire la Sagesse éternelle qui subordonna les effets aux causes, bien qu'étant en mesure de s'en dispenser totalement.
Cela, pour manifester de façon éclatante la puissance de Dieu, et que soient parachevées les merveilles de Sa création; pour que s'accomplisse ce que Son Bon-Vouloir a édicté de toute éternité et que se réalise Sa Parole, ainsi que les décrets du Calame.

Le fait de rechercher une descendance constitue en soi une œuvre pie, par laquelle on cherche à se rapprocher de Dieu; et cela de quatre points de vue qui constituent pour l'homme des incitations fondamentales à se marier, même après qu'il se soit protégé contre les dangers de la sensualité. Ce sont ces raisons qui font qu'aucun des saints personnages [que nous citions plus haut] ne désirait rencontrer Dieu en étant célibataire.

Le premier de ces points de vue, c'est qu'en concourant à mettre au monde un enfant, on agit en conformité avec la volonté Divine, qui est de perpétuer l'espèce humaine.

Le second, c'est qu'en contribuant à augmenter en nombre la Communauté musulmane [dont le Prophète tirera fierté au jour de la Résurrection], on recherche l'amour de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix.

Le troisième, c'est de rechercher une source de bénédiction en la personne d'un enfant pieux qu'on laissera derrière soi, et qui fera des invocations en faveur de son père défunt.

Et le quatrième, c'est de bénéficier de l'intercession de cet enfant, s'il venait à mourir en bas âge.

Premier point de vue

Cet aspect est de loin le plus délicat et le plus subtil, et également le plus éloigné de la compréhension des gens du commun. Mais pour les hommes doués d'un regard pénétrant sur les merveilles de la création de Dieu - exalté soit-Il - et sur les voies qu'emprunte Sa sagesse, il constitue au contraire le mobile le plus puissant et le plus digne d'attention. Supposons qu'un maître place entre les mains de son serviteur un soc de charrue, de la semence, et qu'il mette à sa disposition une terre destinée à être labourée et ensemencée. Le serviteur étant parfaitement en mesure de procéder au labour, le maître va de plus désigner un mandataire chargé de l'inciter à s'acquitter de son travail. Si maintenant le serviteur se montre paresseux, s'il détériore l'instrument du labour, dilapide la semence, la laissant se dégrader et se perdre, et que par quelque faux-semblant il éloigne de lui le mandataire, n'aura-t-il pas mérité la réprobation de son maître et son aversion ?



Or Dieu - qu'Il soit exalté - a créé les époux, mari et femme. A l'homme, Il donna le membre viril et les testicules; puis Il créa la semence qu'Il plaça dans ses reins, disposant en son appareil génital les canaux et les vaisseaux par lesquels elle peut s'écouler. Il créa la matrice de la femme en guise de lieu de dépôt et de séjour pour la semence. Ensuite, Il soumit l'homme et la femme au désir amoureux, lequel est chargé [de les pousser à procréer]. Tous ces actes, tous ces instruments organiques [mis au service de la procréation] ne sont-ils pas l'expression évidente de la volonté de leur Créateur ? N'invitent-ils pas tout homme doué de perspicacité à reconnaître à quelle fin tout ceci a été apprêté pour lui ? Quand bien même Dieu n'aurait pas, par la bouche de Son Envoyé - sur lui la grâce et la paix - clairement exposé Sa volonté en ces termes : " Mariez-vous, vous vous multiplierez...", n'a-t-Il pas cependant [par la simple constitution corporelle de l'être humain] établi l'ordre et divulgué le secret [de Sa Volonté] ? Si bien que quiconque s'interdit le mariage compromet par son refus la procréation, gaspille sa semence, et détériore les instruments que Dieu a apprêtés à cet effet; de plus, il contrevient à ce que réclame la nature humaine elle-même, et à ce que la Sagesse Divine a inscrit sur chacun des membres de l'homme - comme cela est immédiatement intelligible à quiconque en considère la forme corporelle - d'une écriture sans lettre ni son, et que seuls savent déchiffrer ceux que leur Seigneur a doués de la clairvoyance nécessaire pour percer les subtilités de Son éternel sagesse ! C'est la raison pour laquelle la Loi juge si grave le fait de tuer un enfant, ainsi que la wa'ad, [cette barbare coutume pré-islamique qui consistait à enterrer vives, dès leur naissance, les fillettes indésirables] : parce que cela constitue une entrave à l'existence. Et c'est sans doute cela qu'avait à l'esprit le savant qui a déclaré: "Le coït interrompu (al-'azl) est une des deux façons d'enterrer vif un enfant (wa'ad)".

Celui qui contracte un mariage apparaît donc clairement comme concourant à accomplir ce que Dieu Lui-même - exalté soit-Il - désire voir mené à son terme, et celui qui s'en détourne, comme interrompant et dissipant ce que Dieu déteste voir dissipé. C'est par cette même volonté de voir l'humanité se perpétuer que Dieu - exalté soit-Il - a ordonné de sustenter [les pauvres] en y insistant et en employant pour cette forme de charité l'expression de "prêt" (qard), comme le verset : Qui donc accordera à Dieu un crédit avantageux ? Il le lui rendra en abondance".

Maintenant si tu me faisais l'objection suivante: admettons que la préservation de l'espèce humaine et de sa postérité soit agréable à Dieu; cela laisse supposer qu'en contrepartie, sa disparition Lui est désagréable, et implique en conséquence, dans la Volonté Divine, une distinction entre la vie et la mort. Or, chacun sait que tout résulte du Bon-vouloir de Dieu, lequel est souverain à l'égard des mondes. Dans ce cas, comment pourrait-Il faire une distinction entre la vie et le trépas des hommes, entre la perpétuation de l'espèce et sa disparition ?

[A cela je répondrai:] sache que d'une parole fondée, tu prétends tirer une conclusion fausse. Ce que nous avons dit plus haut n'exclut en rien que les créatures soient dans leur ensemble soumises à la Volonté Divine: le bien comme le mal, le bienfaisant comme le nuisible. Car si l'amour et la répulsion s'opposent [effectivement] l'un à l'autre, aucun d'eux ne peut entrer en contradiction avec la Volonté Divine elle-même ! Une chose peut parfaitement être voulue de  Dieu tout étant détestée de Lui, tout comme une autre peut être voulue de Dieu et Lui être agréable. Ainsi, Dieu déteste la transgression, mais celle-ci n'est possible qu'en conformité avec Sa volonté.
De même, les actes d'obéissance surviennent selon Sa volonté; ils sont non seulement voulus mais aimés de Dieu et Son agrément. Nous ne disons donc pas de la mécréance et du mal qu'ils sont aimés ou agréés de Dieu : nous disons qu'ils sont conformes à Sa volonté. N'est-t-il pas dit : Dieu n'accepte point de Ses serviteurs l'infidélité ? (coran 39,7). Ira-t-on alors prétendre que la disparition ou la préservation de l'espèce humaine est indifférente à Dieu ? N'est-ce pas Lui qui affirme [dans une des traditions seigneuriales] : " Il n'est rien qui ne Me cause plus de réticence que de M'emparer de l'âme de Mon serviteur soumis, alors que celui-ci déteste la mort. Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal - cependant, il faut qu'il meure !" Lorsque Dieu dit "il faut qu'il meure" cela indique clairement l'antériorité [ontologique] de Sa volonté [sur Sa réticence à faire mourir le serviteur] et de Son décret mentionné dans les versets : C'est Nous qui vous avons infligé la mort et : [C'est Lui] qui a créé la mort et la vie (coran 54,60 et (67,2). Il n'y a donc aucune contradiction lorsque Dieu dit C'est Nous qui vous avons infligé la mort et cette autre affirmation : " Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal." Pour comprendre tout cela avec précision, il faudrait d'abord établir ce que signifient précisément les expressions : Dieu veut, Dieu aime, Dieu déteste... et quelle valeur il convient de leur attacher exactement. Car la compréhension que l'homme se fait d'emblée de telles expressions est en fait à la mesure de sa volonté, de ses désirs, de ses répulsions. Qu'il est loin de la vérité ! Entre les Attributs Divins et les attributs créaturels dont est pourvu le serviteur, il y a l'abîme qui sépare l'Essence transcendante de celle du serviteur ! Celle-ci est substance et accident, Celle-là est sainte [et exempte de toute contingence]; entre les deux, nulle comparaison possible, pas plus qu'aucun Attribut Divin ne saurait être comparé à un attribut créaturel.



Mes ces vérités sont de celles auxquelles on n'accède que par la science du Dévoilement; elles sont dissimulées derrière les secrets de la Prédestination qu'il est interdit de divulguer ! Mieux vaut donc renoncer à en dire davantage sur ce sujet: tenons-nous-en à ce qui faisait l'objet même de notre étude, à savoir la différence entre le fait de rechercher le mariage et celui de s'en abstenir. Celui qui s'abstient de se marier laisse s'éteindre une lignée dont Dieu a maintenu la pérennité, génération après génération, depuis Adam - sur lui la grâce et la paix - jusqu'à sa propre personne.
Aussi, qui se refuse au mariage met donc fin, à partir de lui-même, à une existence ininterrompue depuis celle d'Adam - sur lui la paix - et meurt en conséquence en homme "tronqué", sans laisser aucune postérité. D'ailleurs, si la seule raison de se marier était de se préserver de la concupiscence, pourquoi Mu'âdh [ibn Jabal] aurait-il demandé, alors même qu'il était atteint de la peste, qu'on le marie afin qu'il ne rencontrât point Dieu en étant célibataire ?

Mais justement, objectera-tu sans doute, dans l'état de santé qui était le sien à ce moment, Mu'âdh ne pouvait espérer avoir d'enfant ! Et tu demanderas: quelle était la raison qui pouvait le pousser à désirer se marier à nouveau ? A cela je répondrai: l'enfant est le fruit de l'union, elle-même suscitée par le désir; il y a là un ordre de chose qui ne dépend en rien de la volonté du serviteur. Ce qui en dépend par contre, c'est de rechercher la compagnie d'une personne qui puisse susciter en lui ce désir; ce qui, en toute hypothèse est toujours possible. Aussi celui qui contracte un mariage a d'ores et déjà rempli ses obligations, et fait ce qu'il avait à faire; le reste n'est plus du ressort de sa volonté. C'est pourquoi le mariage est recommandé même à l'impuissant - car l'éveil du désir amoureux reste une chose mystérieuse dont nul ne connaît réellement les détours - et jusqu'au castrat, pour lequel le mariage demeure recommandé en dépit de son incapacité à avoir des enfants: d'une façon similaire, n'est-il pas recommandé au chauve de se passer le rasoir sur le crâne [|à la fin du Pèlerinage], de manière à faire comme tout un chacun, et par imitation des Anciens (al-Salaf) ? N'est-il pas non plus recommandé jusqu'à nos jours, à qui effectue le Pèlerinage, d'accélérer le pas en faisant les trois premiers tours de la Maison sacrée, et de rejeter les deux pans de son vêtement sur son épaule, alors que [pour les premiers musulmans] le but en était de montrer leur endurance aux mécréants [de la Mecque] ? L'imitation de ceux qui agirent ainsi n'en est pas moins devenue une règle coutumière (sunna) à observer par tous ceux qui accomplissent le Pèlerinage après eux.

Cela dit, la recommandation de se marier est moindre pour un impuissant ou un castrat que pour un homme doué de toute sa virilité, et peut-être infiniment moindre dans la mesure où une telle union comporte un aspect répréhensible: celui de voir une épouse délaissée, et spoliée dans la légitime satisfaction de ses besoins. Ce qui n'est pas sans présenter un certain danger.Voilà pourquoi les Anciens jugeaient de façon si sévère l'homme qui renonçait au mariage, fut-il dénué de tout désir charnel.

à suivre...
source: Des vertus du mariage (Imâm Ghazali)