dimanche 11 mai 2014

DES AVANTAGES DU MARIAGE ( 1 ) - IMÂM AL-GHAZALI

Le mariage comporte cinq avantages majeurs: on s'y assure une descendance; on y apaise sa sensualité; [on y trouve, en compagnie des femmes, détente et distraction]; l'économie domestique y est prise en charge [par l'épouse] et l'on y multiplie les liens de famille et de clan; enfin, on y trouve matière à lutter contre son âme, par les soins dont il faut entourer l'épouse.

Premier avantage, la descendance
Acquérir une descendance est au principe même du mariage, et la raison pour laquelle il a été institué. Le but en est de préserver la postérité de l'homme, de façon à ce que le monde ne soit jamais dépeuplé de l'espèce humaine. Aussi le désir amoureux n'a-t-il été créé qu'en vue d'inciter les époux à la procréation, comme une espèce de mandataire poussant le mâle à répandre sa semence, et la femme, à mettre à sa disposition son champ matriciel.
Tout cela afin de les amener tous deux, en douceur, à concevoir un enfant par le biais du rapport amoureux, de la même façon que l'on attire les oiseaux vers les rets du chasseur en y disséminant les graines dont ils sont friands. Ce n'est pas que la Puissance Divine fût incapable de créer les êtres sans recourir à l'union de l'homme et de la femme à l'ensemencement; c'est au contraire la Sagesse éternelle qui subordonna les effets aux causes, bien qu'étant en mesure de s'en dispenser totalement.
Cela, pour manifester de façon éclatante la puissance de Dieu, et que soient parachevées les merveilles de Sa création; pour que s'accomplisse ce que Son Bon-Vouloir a édicté de toute éternité et que se réalise Sa Parole, ainsi que les décrets du Calame.

Le fait de rechercher une descendance constitue en soi une œuvre pie, par laquelle on cherche à se rapprocher de Dieu; et cela de quatre points de vue qui constituent pour l'homme des incitations fondamentales à se marier, même après qu'il se soit protégé contre les dangers de la sensualité. Ce sont ces raisons qui font qu'aucun des saints personnages [que nous citions plus haut] ne désirait rencontrer Dieu en étant célibataire.

Le premier de ces points de vue, c'est qu'en concourant à mettre au monde un enfant, on agit en conformité avec la volonté Divine, qui est de perpétuer l'espèce humaine.

Le second, c'est qu'en contribuant à augmenter en nombre la Communauté musulmane [dont le Prophète tirera fierté au jour de la Résurrection], on recherche l'amour de l'Envoyé de Dieu - sur lui la grâce et la paix.

Le troisième, c'est de rechercher une source de bénédiction en la personne d'un enfant pieux qu'on laissera derrière soi, et qui fera des invocations en faveur de son père défunt.

Et le quatrième, c'est de bénéficier de l'intercession de cet enfant, s'il venait à mourir en bas âge.

Premier point de vue

Cet aspect est de loin le plus délicat et le plus subtil, et également le plus éloigné de la compréhension des gens du commun. Mais pour les hommes doués d'un regard pénétrant sur les merveilles de la création de Dieu - exalté soit-Il - et sur les voies qu'emprunte Sa sagesse, il constitue au contraire le mobile le plus puissant et le plus digne d'attention. Supposons qu'un maître place entre les mains de son serviteur un soc de charrue, de la semence, et qu'il mette à sa disposition une terre destinée à être labourée et ensemencée. Le serviteur étant parfaitement en mesure de procéder au labour, le maître va de plus désigner un mandataire chargé de l'inciter à s'acquitter de son travail. Si maintenant le serviteur se montre paresseux, s'il détériore l'instrument du labour, dilapide la semence, la laissant se dégrader et se perdre, et que par quelque faux-semblant il éloigne de lui le mandataire, n'aura-t-il pas mérité la réprobation de son maître et son aversion ?



Or Dieu - qu'Il soit exalté - a créé les époux, mari et femme. A l'homme, Il donna le membre viril et les testicules; puis Il créa la semence qu'Il plaça dans ses reins, disposant en son appareil génital les canaux et les vaisseaux par lesquels elle peut s'écouler. Il créa la matrice de la femme en guise de lieu de dépôt et de séjour pour la semence. Ensuite, Il soumit l'homme et la femme au désir amoureux, lequel est chargé [de les pousser à procréer]. Tous ces actes, tous ces instruments organiques [mis au service de la procréation] ne sont-ils pas l'expression évidente de la volonté de leur Créateur ? N'invitent-ils pas tout homme doué de perspicacité à reconnaître à quelle fin tout ceci a été apprêté pour lui ? Quand bien même Dieu n'aurait pas, par la bouche de Son Envoyé - sur lui la grâce et la paix - clairement exposé Sa volonté en ces termes : " Mariez-vous, vous vous multiplierez...", n'a-t-Il pas cependant [par la simple constitution corporelle de l'être humain] établi l'ordre et divulgué le secret [de Sa Volonté] ? Si bien que quiconque s'interdit le mariage compromet par son refus la procréation, gaspille sa semence, et détériore les instruments que Dieu a apprêtés à cet effet; de plus, il contrevient à ce que réclame la nature humaine elle-même, et à ce que la Sagesse Divine a inscrit sur chacun des membres de l'homme - comme cela est immédiatement intelligible à quiconque en considère la forme corporelle - d'une écriture sans lettre ni son, et que seuls savent déchiffrer ceux que leur Seigneur a doués de la clairvoyance nécessaire pour percer les subtilités de Son éternel sagesse ! C'est la raison pour laquelle la Loi juge si grave le fait de tuer un enfant, ainsi que la wa'ad, [cette barbare coutume pré-islamique qui consistait à enterrer vives, dès leur naissance, les fillettes indésirables] : parce que cela constitue une entrave à l'existence. Et c'est sans doute cela qu'avait à l'esprit le savant qui a déclaré: "Le coït interrompu (al-'azl) est une des deux façons d'enterrer vif un enfant (wa'ad)".

Celui qui contracte un mariage apparaît donc clairement comme concourant à accomplir ce que Dieu Lui-même - exalté soit-Il - désire voir mené à son terme, et celui qui s'en détourne, comme interrompant et dissipant ce que Dieu déteste voir dissipé. C'est par cette même volonté de voir l'humanité se perpétuer que Dieu - exalté soit-Il - a ordonné de sustenter [les pauvres] en y insistant et en employant pour cette forme de charité l'expression de "prêt" (qard), comme le verset : Qui donc accordera à Dieu un crédit avantageux ? Il le lui rendra en abondance".

Maintenant si tu me faisais l'objection suivante: admettons que la préservation de l'espèce humaine et de sa postérité soit agréable à Dieu; cela laisse supposer qu'en contrepartie, sa disparition Lui est désagréable, et implique en conséquence, dans la Volonté Divine, une distinction entre la vie et la mort. Or, chacun sait que tout résulte du Bon-vouloir de Dieu, lequel est souverain à l'égard des mondes. Dans ce cas, comment pourrait-Il faire une distinction entre la vie et le trépas des hommes, entre la perpétuation de l'espèce et sa disparition ?

[A cela je répondrai:] sache que d'une parole fondée, tu prétends tirer une conclusion fausse. Ce que nous avons dit plus haut n'exclut en rien que les créatures soient dans leur ensemble soumises à la Volonté Divine: le bien comme le mal, le bienfaisant comme le nuisible. Car si l'amour et la répulsion s'opposent [effectivement] l'un à l'autre, aucun d'eux ne peut entrer en contradiction avec la Volonté Divine elle-même ! Une chose peut parfaitement être voulue de  Dieu tout étant détestée de Lui, tout comme une autre peut être voulue de Dieu et Lui être agréable. Ainsi, Dieu déteste la transgression, mais celle-ci n'est possible qu'en conformité avec Sa volonté.
De même, les actes d'obéissance surviennent selon Sa volonté; ils sont non seulement voulus mais aimés de Dieu et Son agrément. Nous ne disons donc pas de la mécréance et du mal qu'ils sont aimés ou agréés de Dieu : nous disons qu'ils sont conformes à Sa volonté. N'est-t-il pas dit : Dieu n'accepte point de Ses serviteurs l'infidélité ? (coran 39,7). Ira-t-on alors prétendre que la disparition ou la préservation de l'espèce humaine est indifférente à Dieu ? N'est-ce pas Lui qui affirme [dans une des traditions seigneuriales] : " Il n'est rien qui ne Me cause plus de réticence que de M'emparer de l'âme de Mon serviteur soumis, alors que celui-ci déteste la mort. Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal - cependant, il faut qu'il meure !" Lorsque Dieu dit "il faut qu'il meure" cela indique clairement l'antériorité [ontologique] de Sa volonté [sur Sa réticence à faire mourir le serviteur] et de Son décret mentionné dans les versets : C'est Nous qui vous avons infligé la mort et : [C'est Lui] qui a créé la mort et la vie (coran 54,60 et (67,2). Il n'y a donc aucune contradiction lorsque Dieu dit C'est Nous qui vous avons infligé la mort et cette autre affirmation : " Je déteste, quant à Moi, lui infliger le moindre mal." Pour comprendre tout cela avec précision, il faudrait d'abord établir ce que signifient précisément les expressions : Dieu veut, Dieu aime, Dieu déteste... et quelle valeur il convient de leur attacher exactement. Car la compréhension que l'homme se fait d'emblée de telles expressions est en fait à la mesure de sa volonté, de ses désirs, de ses répulsions. Qu'il est loin de la vérité ! Entre les Attributs Divins et les attributs créaturels dont est pourvu le serviteur, il y a l'abîme qui sépare l'Essence transcendante de celle du serviteur ! Celle-ci est substance et accident, Celle-là est sainte [et exempte de toute contingence]; entre les deux, nulle comparaison possible, pas plus qu'aucun Attribut Divin ne saurait être comparé à un attribut créaturel.



Mes ces vérités sont de celles auxquelles on n'accède que par la science du Dévoilement; elles sont dissimulées derrière les secrets de la Prédestination qu'il est interdit de divulguer ! Mieux vaut donc renoncer à en dire davantage sur ce sujet: tenons-nous-en à ce qui faisait l'objet même de notre étude, à savoir la différence entre le fait de rechercher le mariage et celui de s'en abstenir. Celui qui s'abstient de se marier laisse s'éteindre une lignée dont Dieu a maintenu la pérennité, génération après génération, depuis Adam - sur lui la grâce et la paix - jusqu'à sa propre personne.
Aussi, qui se refuse au mariage met donc fin, à partir de lui-même, à une existence ininterrompue depuis celle d'Adam - sur lui la paix - et meurt en conséquence en homme "tronqué", sans laisser aucune postérité. D'ailleurs, si la seule raison de se marier était de se préserver de la concupiscence, pourquoi Mu'âdh [ibn Jabal] aurait-il demandé, alors même qu'il était atteint de la peste, qu'on le marie afin qu'il ne rencontrât point Dieu en étant célibataire ?

Mais justement, objectera-tu sans doute, dans l'état de santé qui était le sien à ce moment, Mu'âdh ne pouvait espérer avoir d'enfant ! Et tu demanderas: quelle était la raison qui pouvait le pousser à désirer se marier à nouveau ? A cela je répondrai: l'enfant est le fruit de l'union, elle-même suscitée par le désir; il y a là un ordre de chose qui ne dépend en rien de la volonté du serviteur. Ce qui en dépend par contre, c'est de rechercher la compagnie d'une personne qui puisse susciter en lui ce désir; ce qui, en toute hypothèse est toujours possible. Aussi celui qui contracte un mariage a d'ores et déjà rempli ses obligations, et fait ce qu'il avait à faire; le reste n'est plus du ressort de sa volonté. C'est pourquoi le mariage est recommandé même à l'impuissant - car l'éveil du désir amoureux reste une chose mystérieuse dont nul ne connaît réellement les détours - et jusqu'au castrat, pour lequel le mariage demeure recommandé en dépit de son incapacité à avoir des enfants: d'une façon similaire, n'est-il pas recommandé au chauve de se passer le rasoir sur le crâne [|à la fin du Pèlerinage], de manière à faire comme tout un chacun, et par imitation des Anciens (al-Salaf) ? N'est-il pas non plus recommandé jusqu'à nos jours, à qui effectue le Pèlerinage, d'accélérer le pas en faisant les trois premiers tours de la Maison sacrée, et de rejeter les deux pans de son vêtement sur son épaule, alors que [pour les premiers musulmans] le but en était de montrer leur endurance aux mécréants [de la Mecque] ? L'imitation de ceux qui agirent ainsi n'en est pas moins devenue une règle coutumière (sunna) à observer par tous ceux qui accomplissent le Pèlerinage après eux.

Cela dit, la recommandation de se marier est moindre pour un impuissant ou un castrat que pour un homme doué de toute sa virilité, et peut-être infiniment moindre dans la mesure où une telle union comporte un aspect répréhensible: celui de voir une épouse délaissée, et spoliée dans la légitime satisfaction de ses besoins. Ce qui n'est pas sans présenter un certain danger.Voilà pourquoi les Anciens jugeaient de façon si sévère l'homme qui renonçait au mariage, fut-il dénué de tout désir charnel.

à suivre...
source: Des vertus du mariage (Imâm Ghazali)

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