dimanche 10 mars 2013

LE PACTE PRIMORDIAL 1 (Amadou Hampaté Bâ)

Un vieux Dogon, les yeux dessillés par de nombreux voyages et par le contact avec d'autres ethnies, revint parmi les siens et leur dit :
- O mes parents ! Nous sommes dans l'erreur. Nos pratiques religieuses n'ont aucun sens. J'ai vu les religions de bien des pays, mais jamais je n'ai trouvé, en deux endroits, deux objets de culte strictement identiques. Chaque pays a les siens. On trouve même des idoles individuelles, l'une pour la mère, l'autre pour l'enfant. Idoles de la tribu, idole du clan,  fétiches particuliers, tantôt faits d'un éclat de pierre ou d'un morceau de bois, tantôt matérialisés par un poisson ou un serpent. Seule l'erreur peut être aussi  multiple. Chez les musulmans, au contraire, tout est homogène; paroles et gestes sont identiques. Les heures, les lieux et les appels à la prière sont semblables. Quand un musulman guérisseur trace les signes efficaces, tous les autres initiés peuvent les déchiffrer alors que, chez nous, les poudres et les éléments de nos philtres ne sont reconnaissables que de leurs seuls auteurs.

" J'en conclus que la Vérité est une et ne doit pas manquer d'harmonie dans sa manifestation. Je veux pratiquer l'Islam.
Ses auditeurs, sceptiques et très attachés au culte de leurs ancêtres, culte vieux de plusieurs milliers d'hivernages, lui disent :
- Si tu es gagné à l'Islam, va à Bandiagara, tu y trouveras tes partenaires.
Antiamba - c'est ainsi que s'appelait le vieux Dogon - vint donc à Bandiagara. Il aborda un passant et échangea avec lui les mots usuels de bienvenue. Il s'ouvrit de son désir d'être instruit dans la tradition Islamique. Son interlocuteur lui dit :

- Va chez Cissé. Il n'a d'autre occupation que d'enseigner la religion. Par lui, tu seras satisfait si DIEU le veut.
Antiamba se rendit chez Cissé, entra et salua :
- La paix sur vous, ô ceux d'ici!
Cissé répondit :
- Nous n'avons que la paix, la paix seulement. Que cette paix soit sur toi. Sois le bienvenu !"

La requête ayant été exposée, Cissé se disposa à instruire Antiamba, mais il se heurta à une difficulté majeure : Antiamba ne savait ni lire ni écrire; il ne parlait pas la langue rituelle, l'arabe; il ne savait que le dogon et le peul. Or, nul n'ignore la peine que l'on a à se faire entendre d'un être inculte, surtout lorsqu'il s'agit d'un entretien portant sur la religion. Mais Cissé, qui n'ignorait rien de la tradition musulmane, n'était pas sans connaître cette sentence du prophète de DIEU : " Parlez aux gens à la mesure de leur entendement."
Il se dit :" Cet homme ne peut lire dans un livre, mais si je me servais de la langue qu'il parle et de figures que je tracerais sur la terre, sa mémoire ne perdrait rien, ma tâche serait facilitée et le voeu de cet homme exaucé."

Il pensa alors à ce mot de notre seigneur Mohammed à propos des guides spirituels : "En chaque homme de DIEU est scellée une parcelle du secret de la Puissance de Divine. La vertu de cette parcelle lui permet de tirer la vérité d'entre le doute et le mensonge, comme on tire le lait d'entre le sang et les excréments."(1)

Sur le conseil de Cissé, le vieux Dogon apporta du sable fin et le répandit sur le sol. Celui qui, ignorant cette méthode, surprendrait un homme traçant des lignes et des points sur le sable en articulant des paroles croirait avoir à un géomancien ou à un dément. Pourtant, la méthode de Cissé, en dépit de son étrange aspect, est la seule qui soit compatible avec les conditions intellectuelles et matérielles de la masse. Celui qui voudrait instruire les siens selon les règles de la scolastique ne rencontrerait que l'échec. La méthode de Cissé est conçue à l'usage de la masse illettrée, en prévision de la mort qui n'attend pas et de l'ordre Divin qui ne s'abroge point. Elle aplanit toutes les difficultés. Linguistiquement, elle universalise l'enseignement et le rend accessible à tous les âges, à tous les goûts, à toutes les capacités, avec les plus grandes promesses de succès et dans le minimum de temps.

Cissé prit la parole :
1- Néophyte, le Maître te créa. Il accomplit en toi l'image d'Adam, la plus honorable et la plus belle des formes. Cette forme a été celle de notre seigneur Mohammed (sur lui la prière et la paix). Allâh préleva le plus précieux de ses diamants, te l'attribua et dit : "Voici, prends-en soin. Mais souvient-toi que je te le reprendrai.
En attendant :
2 - utilise-le,
3 - commerce avec.

a. Si tu l'entretien bien,
b. si tu l’accommodes,
c. et si  tu en retires un bénéfice,
le total du gain sera pour toi. Je n'en ai point usage. Par surcroît, je te donnerai un Royaume tel que jamais monarque n'en eut de semblable : le Paradis après la mort.

Il est écrit dans le Livre de Noblesse : " Quand à celui qui aura redouté de comparaître devant son Seigneur et qui aura préservé son âme des passions, en vérité, pour celui-là, le féerique Djanna (jardin) sera le lieu d'asile." (Coran LXXIX, 40-41).
Mais :

d. si tu le négliges,
e. si tu le taches,
f. si tu le souilles,
Je t'accablerai de tortures, plus accablantes que nul n'en subit jamais: le supplice de l'Enfer après la mort."

Il est écrit dans le Livre de Noblesse : "... Lors, quiconque aura outrepassé et aura préféré la vie de ce monde, en vérité, pour celui-là, le brasier Djahim sera le lieu d'asile." (Coran LXXIX, 37.)

4. Le diamant en question, c'est la Raison (2)
g. C'est cette Raison qui différencie l'homme de la bête.
h. C'est cette Raison qui, parmi les hommes, différencie le croyant de l'incrédule.
i. C'est cette Raison qui, parmi les croyants, différencie l'érudit de l'ignorant.
j. C'est cette Raison qui, parmi les croyants érudits, différencie le juste du méchant.

Parmi tous les animaux de la création réunis, qu'est-ce qui rend l'homme supérieur ?
k. la Raison.
Par quoi, dans l'ensemble des hommes, le croyant est-il considéré comme supérieur à l'incroyant ?
l. la Raison.
Par quoi, dans l'ensemble des croyants, le savant a-t-il l'avantage sur les dévots ?
m. par la Raison.
Par quoi, dans l'ensemble des savants, le Juste a-t-il l'avantage sur l'érudit ?
n. par la Raison
Certes, il est juste de célébrer la valeur de tout ce dont tu fus doté par ton Maître. Il a parfait en toi l'image d'Adam. Il t'a pourvu d'un diamant plus précieux que toutes choses. Par ce don, tu t'es différencié de la bête, du mécréant, de l'ignorant, et enfin du méchant. Il est juste que tu connaisses le Seigneur qui fit tant pour toi. Sa connaissance t'est d'ailleurs une obligation. Quand tu le connaîtras, alors tes deux vies (3) seront pleines de félicité.
Mais si tu le dénigrais, tu manquerais le but de cette vie et l'autre ne te serait point garantie.
à suivre...
source : vie et enseignement de Tierno Bokar (Amadou Hampaté Bâ)







1. Les pasteurs et nomades de jadis croyaient que le lait de vache était situé entre le sang et les excréments.
2. Il ne s'agit point ici de la "raison raisonnante", purement intellectuelle, mais de cette intelligence profonde, parcelle Divine insufflée par DIEU en l'homme, qui demeure parfois endormie chez certains hommes même s'ils peuvent paraître intellectuellement brillants.
3. Ici-bas et l'autre monde après la mort.

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